𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟖

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Après avoir tourné maintes et maintes fois dans mon lit sans parvenir à trouver le sommeil, je décide de me lever sur les coups de 4 heures du matin

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Après avoir tourné maintes et maintes fois dans mon lit sans parvenir à trouver le sommeil, je décide de me lever sur les coups de 4 heures du matin. Je hais plus que tout rester à ne rien faire, regarder la télé ou même faire défiler mes réseaux sociaux. Je plonge quelques parfois dans la lecture de l'un de mes romans préférés, mais tôt ce matin, je n'ai pas le cœur à m'évader dans un monde imaginaire.

Je ne pense qu'à une seule chose : arrêter le Naitokirā.

Une simple soirée ne m'a pas permis d'oublier la menace grandissante qui se profile à l'horizon. Au contraire, elle s'est intensifiée. Les doutes éphémères se sont renforcés. Et si je ne veux pas que cette affaire se retrouve entre les mains d'un inspecteur incompétent et d'une équipe qui l'est tout autant, je dois rassembler des preuves.

Ni une ni deux, je me rends à la section des enquêtes criminelles, allume la lumière dans mon bureau puis dépose ma veste sur le dossier de ma chaise. Je retrousse les manches de ma chemise avant de faire une halte à la machine à café. Maintenant, je peux me mettre au travail.

Je dois repartir de zéro – analyser les éléments qui sont en notre possession depuis le début et chercher un, ou des détails, que nous avons peut-être manqués. Ce processus inclut aussi devoir me replonger dans les souvenirs liés à mon ancienne vie, et je ne sais pas si j'en ai envie.

Noa n'a pas mérité une telle fin.

Cette nuit est la source de ce sentiment de culpabilité qui grossit comme un virus qui se propage en moi. Je m'en souviens comme si c'était hier, de cette raison qui m'a poussé à retarder l'heure de mon retour à la maison, ce soir-là. Même si mon mariage battait de l'aile, même si être avec elle relevait plus d'un confort sociétal que d'un amour profond, je regrette encore à ce jour de ne jamais lui avoir dit la vérité. Ou peut-être même de n'avoir jamais accepté cette vérité.

Les mois qui ont précédé sa mort, je me suis aperçu que je ne tenais plus tant que ça à elle. Notre séparation, des années auparavant, avait brisé quelque chose d'impossible à réparer. Ce n'était pas elle que j'aimais, mais le quotidien confortable que nous partagions. Je ne suis tombé amoureux qu'une seule fois dans ma vie. Et après avoir fait la rencontre de celle qui a changé à jamais mon existence, j'ai fini par comprendre que je serais incapable de ressentir des sentiments aussi forts pour qui que ce soit d'autre. C'est ça qui m'a éloigné de Noa. Je me suis cloitrée entre les quatre murs de mon bureau en espérant qu'elle se soit endormie avant que je ne rentre.

Elle était endormie, ça oui, peut-être un peu trop pour ne jamais se réveiller le lendemain.

Le passé ne l'est jamais vraiment, en fin de compte, et je déteste arriver à ce constat. Fuir ne sert à rien, mentir non plus. J'ai sous-estimé les entités qui ont toujours gravité autour de moi.

Je laisse échapper un long soupir, puis rassemble les dossiers des victimes, les différents rapports d'autopsie et de scènes de crimes avant de tout disposer par terre au milieu de mon bureau. J'ai à présent sous les yeux des dizaines de clichés de cadavres égorgés, dont les poignets sont coupés et sanguinolents. Ce détail nous a toujours permis de faire le lien entre les différents meurtres, surtout avec celui d'Hannah. Nous ne pouvions pas passer à côté de ce mode opératoire particulier. Notre coupable attend toujours la tombée de la nuit pour sortir de son terrier, jusqu'à s'inviter au sein de leur domicile avant de leur ôter la vie.

Il n'y a jamais de témoins, ni même de descriptions du potentiel meurtrier. Seules deux familles sur six nous ont certifié que le comportement de leur proche avait, en effet, changé quelques jours avant leur mort. Ça ne veut dire qu'une seule chose, selon moi : le coupable rencontre ses victimes avant de les tuer. Au vu des secrets que dissimulaient ces hommes de loi, je ne serais pas étonné qu'ils aient été victimes de chantage. En clair, cet individu est un véritable fantôme vivant dans le monde du commun des mortels.

Je prends le temps de noter cette piste dans le coin de l'une de mes feuilles.

Mao et moi avons même épluché les relevés téléphoniques, étudié les conversations SMS ainsi que sur les différents réseaux sociaux, mais rien n'a jamais mentionné la présence de cette potentielle ombre dans leur existence.

Ne jamais révéler qui l'on est vraiment.

Cette ombre est précautionneuse, ne communique jamais à distance, ou alors utilise des moyens qui sont, pour le moment, hors de ma portée.

Pas ici.

J'ai bien une idée, très précise, même, mais je ne peux décemment pas la vérifier sur mon ordinateur au travail.

Beaucoup  d'éléments nous permettent pourtant de faire des liens plus qu'évidents entre chacune des victimes. Cinq d'entre elles, d'ailleurs. Ces cinq hommes avaient tous plus de quarante-cinq ans, étaient des hommes de loi et des pères de famille. Ils ont tous été retrouvés dans deux arrondissements distincts : Shinjuku et Chiyoda.

Et puis Hannah Travis est venue remettre en question une bonne partie de ces informations en question. Elle était plus jeune, célibataire, sans aucun casier judiciaire ni crime à son actif, et surtout, elle ne résidait pas dans l'une de ces deux circonscriptions. Était-ce un moyen de brouiller les pistes ? Ou alors une totale perte de contrôle ? Est-ce qu'Hannah s'était, sans le vouloir, approchée de la vérité ? Je déglutis à cette pensée alors que mon crayon glisse d'entre mes doigts. Je me sens à l'étroit dans ma chemise.

J'attrape mon téléphone et constate que je suis ici depuis déjà une heure. Une heure, penché le nez au-dessus de toutes ces foutues fiches blanches remplies d'inscriptions sombres. Comme toujours, plus je les lis, plus je finis par être englouti par cette impression d'être pris de court. L'énigme de ce tueur en série passe en boucle dans ma tête, comme un tube impossible à oublier. Cette affaire n'est qu'un énorme cryptex dont la combinaison est introuvable.

Je tente de me concentrer de nouveau, cependant interrompu par l'image de Naoki Fujita. Ça aussi, j'y pense. Mais plus j'y pense, moins cette piste me paraît plausible. J'ai certes trouvé son attitude étrange lors de notre entrevue, mais si les arrestations étaient basées sur des comportements énigmatiques, la moitié de la population se retrouverait derrière les barreaux.

Mes yeux explorent les diverses informations que j'ai à propos de ce serveur alors que la même interrogation passe en boucle dans ma tête : pourquoi ? Pourquoi Fujita serait cet assassin que l'on cherche ? Quel serait son mobile ? Mon regard bifurque sur la droite et détaille, une nouvelle fois, les photos du corps d'Hannah Travis. Et si Naoki était le tueur ? Et si sa rupture avec Hannah était liée à ce statut ? Et s'il l'avait tué, car la jeune femme avait fini par comprendre quelque chose ?

Il n'est pas le seul, toutefois, à s'être installé dans mon esprit. Le couple que j'ai rencontré la veille vient, lui aussi, d'y installer ses valises. Je me remémore le comportement de ce Ryu qui m'a paru tendu, bavard, néanmoins restant sur ses gardes lorsque j'avais le malheur d'ouvrir la bouche pour articuler quelques mots. Je sais que je n'ai aucune preuve pour me mettre à épier ce couple, mais c'est ce pressentiment — cette sensation que je n'ai pas ressentie depuis des années et qui, pourtant, ne m'a jamais trompé.

Je consulte de nouveau le bilan que nous avons rédigé, jusqu'à ce qu'un détail m'interpelle. Le rapport stipule qu'un bouquet de fleurs fraiches a été retrouvé sur le plan de travail de la cuisine de la jeune femme. Les mains tremblantes, le cœur qui s'emballe, je me penche en avant et allonge le bras gauche pour saisir une nouvelle feuille. J'écarquille les yeux. Des fleurs se trouvaient aussi sur le bureau du juge, mort il y a quelques semaines. Puis chez l'avocat, aussi, ainsi que chez la première victime : un flic qui dissimulait ses penchants pédophiles.

Cet exact bouquet de Lys était présent sur chacune de ces scènes de crimes. Personne n'a traité cette information, personne n'a fait attention et mis en évidence cet indice pourtant plus qu'incriminant. Je sens la sueur dégouliner dans mon dos, sur mon front, la transpiration s'infiltrer dans ma chemise. Une nuée abominable de frissons fait son apparition le long de mon échine.

Elle est enfin là, notre piste.

L'enfer a ses raisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant