Introduction

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Juin 1940

Depuis une semaine, les commérages allaient bon train. "On a perdu la guerre, les Allemands arrivent en France!". C'est ce qu'on entendait dans tous les cafés de la ville.

Maintenant c'est officiel. Les Allemands sont entrés en France et avancent à une vitesse incroyable.

On est tous terrorisés par « eux ». Du moins par ce qu'on entend dire d'eux. Ils sont horribles a ce qu'il parait... Très grands, blonds, avec la mâchoire carrée. Et ils ne sourient jamais... C'est ce que dit Léon. Il les connaît les Allemands. Il les a combattus en 1914.

Aujourd'hui, ils défilent dans nos rues. Je suis venue y assister avec les autres. J'avais besoin de voir à quoi ils ressemblent... voir de mes propres yeux si ce qu'on raconte est vrai.

J'entend leur marche saccadé. Ils ne sont plus qu'à quelques mètres. Je me mets sur la pointe des pieds pour les apercevoir. Ils sont impressionnants. Leur visage semble fermé, figé par la fierté et masquant la peur... Ils se ressemblent. Portant tous ce même uniforme de couleur gris-vert et un calot de la meme couleur. Leurs pas résonnent dans toute la rue masquant les grossièretés des habitants mécontents par leur présence.
Je sursaute en sentant une main appuyée sur mon épaule. C'est Marcel qui a réussi à me retrouver dans la foule. Il m'adresse un sourire, puis fixe son regard sur nos occupants.

Marcel je l'ai rencontré il y a trois mois, à mon arrivée ici, alors que je ne connaissais encore personne. Mon père est mort en 1927, j'avais six ans. Ma mère a succombé à une longue maladie il y a un mois. Sachant qu'elle était condamnée, elle a voulu qu'on se rapproche de ma grand-mère paternelle, ma seule famille, qui vit seule ici dans une grande ferme à quelques kilomètres de la ville. Elle ne nous a pas vraiment accueillis comme on l'espérait. Il faut dire que mon père était en froid avec elle depuis plusieurs années. Elle nous considérait plutôt comme des étrangers venant encombrer une des quatre chambres de la grande ferme familiale.

Depuis un mois, je n'y vais presque plus. J'habite avec Marcel et Jean. Ils sont en colocation dans un petit appartement au centre ville. Cela m'arrange car je devais faire une demie heure de bicyclette pour me rendre à la boutique de couture où je travaille. Maintenant, j'ai juste à descendre les escaliers... Je vais quand même rendre visite à ma grand-mère le dimanche après-midi. Je lui ai déjà proposé mon aide pour l'aider à la ferme mais elle n'en a jamais voulu, disant "Depuis la mort de ton grand-père je me débrouille toute seule, c'est pas maintenant que j'vais avoir besoin d'aide!".

-  Allez viens, on va chez Louise. Me dit Marcel en m'entrainant hors de la foule.

Le café est en peu en retrait de la place principale de la ville. Tous les badauds sont encore au défilé. Louise est en train d'essuyer les tables. La clochette retentit à notre arrivée et elle relève la tête pour observer qui vient d'entrer.

-  Ha salut les p'tits!

Elle pose son chiffon, se relève en s'étirant le dos.

-  Alors ça y est? Sont bien là les Boches?

Marcel fait signe de la tête. Louise reprend son chiffon et reprend énergétiquement sa tâche sans un mot de plus. Je n'arrive pas à saisir son attitude. Est-ce de la peur? De l'appréhension? Ou tout simplement de l'acceptation...

La cloche retentit de nouveau. Jean nous rejoint. Il est accompagné de Lucie, sa petite amie qui étudie la médecine avec lui.

-  Tu nous mets quatre cafés Louise? Demande Marcel en s'installant à une table. Alors les Boches? Vous en pensez quoi?

-  Moi ils me filent les jetons! Avoue Lucie.

Nous sommes interrompus par une dizaine de clients entrant dans le café. Le défilé est sûrement terminé et les Allemands vont sûrement être au centre de toute les conversations en cette fin de journée.
Le café se retrouve vite bondé de monde. Entre les convaincus que la guerre n'est pas perdue, que l'on doit se battre et ne pas abandonner, et ceux qui pensent qu'accepter notre défaite et les occupants est la meilleure chose à faire, l'ambiance est électrique.
J'écoute chacun donné son opinion et ses arguments. Marcel et Jean participent activement au débat. Je ne dis rien mais je pense que cette situation va devenir quelque chose de récurrent et risque de diviser la population française au quotidien.

Coucher avec l'ennemiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant