Chapitre 19

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Il est 22h30 et je me précipite à l'appartement. Marcel est déjà endormi. Je le réveille sans ménagement.

-  Lève-toi ! Faut absolument que je te parle !

Marcel prend le temps de se lever et d'enfiler un peignoir. Je m'installe à table, me pinçant l'arrête du nez. Je n'ai pensé qu'à ça... toute la journée, les lettres m'ont hantée. Je relève la tête quand Marcel s'installe en face de moi. Il attend que je lui dise un mot. Voyant mon abattement et mon silence, il me demande:

-  Qu'est ce qu'il y a ?

Je ne peux plus contenir mes émotions et je fonds en larmes. Je place mon visage entre mes mains pour étouffer mes sanglots. Je sens la main de Marcel presser mon épaule. Je tente de me reprendre.

-  Je... j'ai découvert quelque chose aujourd'hui... Dis-je entre deux spasmes.
-  Quoi ? Qu'as- tu découvert pour être aussi retournée ?

Marcel vient reprendre sa place en face de moi. Il pose sa main sur la mienne, comme s'il voulait me donner du courage.

-  Je crois que tu as raison. Eisenmann fait partie des renseignements. Il est le chef du SD. Mais je ne sais pas ce que c'est...

Marcel se penche à l'arrière de sa chaise et passe sa main sur sa nuque.

-  Merde... Dit il nerveusement.
-  Quoi ? Tu sais ce que c'est ?
-  C'est leur service de sécurité et de renseignement. Leur rôle c'est d'enquêter et de faire tomber tous les opposants au Reich Allemand. Donc j'avais raison... Ils ont envoyé Eisenmann pour faire tomber notre réseau.

Marcel se mord la lèvre inférieure. Il semble chamboulé par la nouvelle.

-  Tu sais Marcel, ils n'ont pas besoin d'enquêteurs pour nous trouver...
-  Quoi ? Pourquoi tu dis ça ?
-  Dans le bureau d'Eisenmann, j'ai trouvé un dossier. Des lettres. Des tas de lettres de dénonciation. C'est des français Marcel ! Ils se dénoncent entre eux ! Les communistes, les résistants, les juifs...
-  Quoi ? Tu racontes n'importe quoi !
-  Mais je les ai vues ! Dis-je en me levant d'un bond, faisant tomber dans un fracas assourdissant, ma chaise sur le sol.
-  Je les ai lues. Un homme dénonçant son voisin comme étant un résistant. Et puis, un autre, son frère... un communiste. Elles étaient toutes adressées au chef du SD...

Marcel change de couleur. Son teint devient blafard. Il me regarde sans parler.

-  Mais... c'est impossible. On se serre les coudes entre Francais. On fait partie du même pays. C'est eux nos ennemis...
-  Je le sais. Mais je crois que la guerre fait du mal. Elle rend les gens monstrueux.

Marcel cesse de parler un instant, plongeant dans ses pensées.

-  Qu'est ce qu'on va faire ?

Mon ami se gratte la tête, puis place ses mains jointes sous son menton. Son regard me fixe.

-  Je vais en parler à Paul demain. Toi tu fais comme avant, tu ne changes rien et surtout pas ton comportement envers le Boche. Il aura des soupçons. Tu n'as rien trouvé d'autre ? Pas de dossier sur notre réseau ?
-  Non. Mais il y avait un tiroir fermé à clé que je n'ai pas pu ouvrir.
-  Il va falloir que tu l'ouvres. Les réponses sont peut-être à l'interieur. En tout cas, je pense que pour le moment, on a rien à craindre. S'il avait eu quelque chose contre nous, on serait déjà arrêtés. Il va falloir quand même qu'on soit très prudent.

Je n'ai jamais vu mon ami aussi chamboulé. Il va m'être difficile de faire comme si de rien n'était maintenant que je sais...

      Pendant le reste de la semaine, j'ai cru devenir folle. Lorsque je me déplaçais dans les rues, les commerces ou au marché, je voyais les gens m'observer. Je les imaginais écrire une lettre et me dénoncer. Je me méfie de tout le monde et je n'ose plus parler, même pas à mon boulanger.

Le lieutenant Eisenmann est rentré de déplacement hier. J'ai essayé de l'éviter toute la journée. Je suis en train de finir d'essuyer la vaisselle quand un soldat vient à ma rencontre.

-  Mademoiselle Berger ? Dit-il en appuyant fortement sur le R.
-  Oui ?
-  Suivre moi, bitte.

Je pose le linge sur la table et je le suis. J'ai une petite idée de l'endroit où il me conduit et lorsque nous arrivons au premier étage, mon ventre commence à se tordre par l'angoisse. Nous nous arrêtons devant la porte du bureau d'Emmrich et le soldat frappe à la porte.

-  HEREIN !

Le soldat ouvre la porte et me fait signe d'entrer. Il fait un salut nazi au lieutenant, puis repart, refermant la porte derrière lui. Emmrich m'adresse un regard, plutôt distant puis me fait signe de m'asseoir. Il ne m'adresse pas de sourire comme à son habitude. Je m'exécute et j'attends qu'il m'explique la raison de ma présence ici. Il termine de rédiger un papier avec un sérieux inébranlable. Je l'observe. Ses traits semblent crispés. Il pose enfin son crayon et me regarde silencieusement.

-  Vous sentez vous plus reposée ? Demande-t-il enfin.

Ce silence commençait à être pesant.

-  Heu oui merci... Je réponds maladroitement.

Un sourire se dessine sur ses lèvres.

-  Vous avez pu profiter de mon appartement ?

Cette fois-ci je ne me sens plus sereine. Est-ce qu'il sait que j'ai fouiné dans son bureau ? M'a t-il juste fait venir ici pour me demander si je m'étais bien reposée ? Étonnement je n'y crois pas beaucoup. Je visualise rapidement ma fouille. J'ai bien remis les dossiers à leur place, refermé les tiroirs et replacé la chaise. Non, il ne peut pas savoir...

-  Oui je vous remercie. Je n'y suis venue qu'une seule fois. Je n'ai pas osé faire trop de dérangement.
-  Ho il ne fallait pas vous inquiétez pour ça! Quelqu'un vient  nettoyer l'appartement en fin de semaine. Elle a d'ailleurs oublié de refermer l'accès au bureau la semaine dernière.

Soudain, mon sang ne fait qu'un tour. Dans la panique, j'ai complètement oublié que je ne pourrais pas refermer la porte après l'avoir ouverte. Je suis démasquée. Je le regarde, muette. Il me tient. Mais comment va t'il réagir... Il se penche légèrement et ouvre le tiroir de son bureau. Il en sort le dossier "Denunzation" et le pose devant lui. Il plonge de nouveau son regard dans le mien. Il est calme et serein et son sourire me montre que c'est de nouveau lui qui tient les rênes.

-  Vous avez des questions à me poser Alice ?
-  Heu... Je...

« Allez Alice, par pitié, trouve quelque chose de crédible pour te sortir de là ! »

-  Je... je m'excuse lieutenant. J'avais besoin de savoir ce que vous faisiez vraiment...  Alors j'ai tenté de fouiller votre bureau pour en apprendre un peu plus sur vous...

Mes joues me brûlent. Je me sens honteuse d'avoir été démasquée et prise à mon propre jeu.

-  Que vouliez-vous réellement savoir? Et pourquoi ne pas m'avoir posé la question directement ?
-  Et bien je n'ai pas osé...
-  Ou plutôt, vous aviez peur de ce que je pourrais vous répondre ?
-  Oui également...

Je baisse les yeux et je me mets à fixer honteusement mes chaussures. Il se lève et s'arrête près de moi.

-  Venez ! Ordonne t-il.

Je le regarde et je me lève. Il m'emboite le pas et nous sortons du bureau. Sans un mot, je le suis. Nous descendons jusqu'à la cantine. Nous traversons un long couloir. C'est un vrai labyrinthe. Droite, gauche, droite... Il doit traverser l'ensemble du bâtiment. Nous arrivons enfin devant une porte.

-  Je vais répondre à votre question. Vous voulez savoir qui je suis et ce que je fais et bien vous allez le comprendre.

A ce moment-là, une vague d'angoisse me submerge.  J'ai peur de ce qui se trouve derrière cette porte et finalement, je ne sais pas si j'ai vraiment envie de le savoir.

Coucher avec l'ennemiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant