Octobre 1941
J'ai accepté le travail. Paul a dit de Marcel qu'il avait eu une idée brillante. C'est toujours lui qui reçoit les éloges mais c'est moi qui doit me taper les missions au contact des Boches, ce qui me ravit un peu moins...
En acceptant le boulot, on risque de me prendre pour une collabo. C'est comme ça qu'on traite ceux qui travaillent ou aident les Allemands. Mais c'est les aléas d'être dans la résistance, me dit Marcel.Je suis nerveuse. C'est mon premier jour aujourd'hui. Il est 10h30 et je me présente à la Kommandantur. Un soldat m'accompagne au sous-sol. C'est une jeune française qui prend le relai. Elle me montre où se trouve la cuisine et la salle de repas. Nous avons quatre vingt trois couverts à dresser chaque midi et chaque soir. Entre 15 et 20 kg de pommes de terre et légumes à éplucher. Rien que d'y penser, je suis épuisée. Je reçois une coiffe et un tablier et je me mets au travail. Rosine, une des trois autres jeunes françaises qui travaille avec moi m'explique qu'on ne doit surtout pas être en retard. Nous commençons à éplucher les légumes. Mes mains me brûlent. Des ampoules se forment entre mes doigts et je souffre en silence. Rosine a l'air d'être une gentille personne. Elle est ici car elle n'a pas vraiment eu le choix. Son père est le responsable de la scierie de la ville et c'est un collabo pur et dur. Il ne lui a pas vraiment laissé le choix quand les Boches ont demandé du personnel en cuisine.
Le repas est prêt et les soldats commencent à s'entasser dans la salle. Constance et Margaux ont dressé les tables tandis que Rosine et moi nous posons les grosses marmites sur les dessertes de service. Je pousse difficilement le chariot jusqu'à la salle bondée de soldats Boches installés autour de quatre immenses tables en bois massif. Ça parle fort et ça rigole. Alors que Constance et Margaux partent au fond de la pièce pour commencer le service, Rosine continue sa traversée et je la suis jusqu'à ce que nous nous trouvions devant une porte close. Je fronce les sourcils tandis que ma collègue frappe à la porte.- HEREIN ! Hurle un homme derrière la porte.
Rosine ouvre timidement la porte et tire le chariot. Je comprends tout de suite où nous sommes lorsque mon regard croise celui du lieutenant Eisenmann. C'est la salle des officiers. Une dizaine de paires d'yeux se posent sur nous, comme si nous étions leur repas. Ils nous regardent avec un air lubrique et désobligeant. Rosine tire la servante jusqu'à leur table et je l'aide à la pousser. Je laisse discrètement mon regard croiser celui d'Emmrich qui ne semble pas me quitter des yeux et me rend mal à l'aise. Rosine me tend une assiette et je la remplis. Les officiers ont un morceau de fromage et une ration plus importante de viande par rapport aux soldats. Je suis dégoûtée par tant de nourriture qui est introuvable dans nos propres rues. Un officier qui a presque l'âge d'être mon père commence à me parler. Son regard obscène fixe ma poitrine. Je tente de l'ignorer mais lorsque sa main frappe violemment mes fesses, je fais tomber l'assiette que j'avais dans les mains et elle se brise en mille morceaux. J'ai alors un moment d'hésitation... Est ce que je me retourne pour lui asséner une énorme gifle pour lui retirer de son visage grossier cet air concupiscent ou est-ce que je ramasse sans rien dire en pensant aux conséquences que la première décision pourrait me coûter... Alors que je décide de choisir la voie de la sagesse, Emmrich se lève et commence à tonner en allemand sur mon agresseur. Tandis que je ramasse les morceaux de porcelaine cassée, une dispute éclate entre les deux hommes. L'homme finit par s'en aller et Emmrich vient s'accroupir près de moi. La dispute a provoqué un silence de plomb dans la salle.
- Est ce que ça va ? Demande Emmrich.
- Ça va, je vous remercie.
- Désolé pour l'indélicatesse de l'Obersturmführer Schwarzen. Il ne peut pas s'empêcher d'embêter les nouvelles venues.
- Ce n'est rien.Je réponds un peu froidement et je m'en vais jeter les débris à la poubelle. Je retiens mes larmes. Je me sens humiliée. Je déteste ce travail, je déteste les allemands et je le déteste, lui. A la fin du service nous nous attardons à la vaisselle. Je frotte et je rince et Rosine essuie. Finalement, je ne sais pas si je préfère éplucher les kilos de pommes de terre ou bien nettoyer les innombrables assiettes, verres et couverts.
Il est presque 15h et nous arrivons à la fin. Je suis soulagée de voir enfin le bout et j'ai envie d'aller me reposer. J'ai des crampes aux jambes, aux bras et aux mains. Mes pieds me brûlent et mes ampoules au bout des doigts me font grimacer à chaque fois que je dois attraper quelque chose. Je ne sais pas si je pourrai tenir au service de ce soir. Cela nous laisse à peine plus de deux heures pour nous remettre de celui de midi. Les filles s'en vont et je termine de ranger les deux derniers verres. J'enlève mon tablier et je prends mon sac. Je me dirige vers la porte, tête baissée, pensant déjà à la sieste qui m'attend. Soudain, je me heurte violemment à quelqu'un. Lorsque je lève les yeux pour m'excuser, j'aperçois le visage d'Emmrich.
- Je vous demande pardon. Dis-je.
- Ce n'est rien. La matinée a été difficile n'est ce pas ?
- Et elle n'est pas terminée. Je voudrais bien me reposer un peu.Le lieutenant avance d'un pas, pour réduire la distance qui nous séparait. Elle n'est maintenant que de quelques centimètres. Il replace une mèche de cheveux derrière mon oreille. A son contact je me raidis et ma colonne vertébrale est parcourue de frissons. Je détourne le regard et le pose sur une chaise au fond de la salle.
- Pourquoi me fuyez vous ?
- Ce n'est pas le cas. Dis-je, toujours le regard fixé ailleurs.
- Vous mentez. Vous ne me regardez pas dans les yeux, votre regard me fuit, tout comme vous...Il soulève mon menton avec sa main droite et m'oblige à le regarder.
- Pourquoi Alice ?
Ses prunelles turquoises me dévisagent impatiemment, attendant ma réponse.
- Je suis touchée par ce que vous faites pour moi, mais je ne peux pas être votre amie. Nous sommes trop... différents...
Il recule d'un pas, et je l'observe. Il pince les lèvres et soupire. Il me semble distinguer un soupçon de contrariété. Mais peut être que je me trompe...
- Je suis fatiguée... je vais aller me reposer avant le service de ce soir...
Je le contourne sans un regard et je marche rapidement pour m'éloigner au plus vite de lui. J'ai un pincement au cœur. Mais après tout, à quoi s'attendait-t-il ? pensait-il réellement que nous pourrions devenir amis ? Voire... plus ? Non c'est impensable... Il est l'enemmi de mon pays, c'est un nazi, un homme mauvais et sans coeur... même s'il essaie de me faire croire le contraire...
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Coucher avec l'ennemi
Historical FictionFrance, 1940. Après avoir perdue toute sa famille, Alice, jeune femme de dix neuf ans, décide de s'engager dans de la résistance. Un combat contre les occupants commence, jusqu'à ce qu'elle croise le chemin d'Emmrich, un lieutenant SS... Sa vie v...