Chapitre 23

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    Les cloches sonnent six heures. Il m'attend déjà, un léger sourire aux lèvres. Moi je suis plutôt mal à l'aise. Mon regard tente de l'éviter et je me mords la lèvre inférieure. Lorsque j'arrive à sa hauteur, je lui adresse un léger sourire, mais mon regard continue de le fuir.

-  Vous êtes vous bien reposée ? Demande-t-il.
-  Heu oui je vous remercie.

Il me fait signe d'entrer dans le café. J'observe rapidement la salle. Il y a un peu de monde ce soir. Les rires et les bavardages vont bon train. Lorsque le lieutenant entre à son tour, le bar vivant devient soudainement très silencieux. Je suis d'autant plus mal à l'aise que tous les regards se posent sur moi, puis sur lui. J'imagine alors ce que toutes ces personnes doivent penser de moi. Je connais la plupart des clients. Nous nous installons. Mes pensées sont ailleurs. Je repense à ma conversation avec Marcel. Je n'aime pas que l'on soit fâché.

-  Quelque chose vous tracasse ?

Je l'aurais presque oublié...

-  Je me suis disputé avec quelqu'un que j'aime beaucoup. 
-  Est-ce votre fiancé ?
-  Marcel ? Non c'est mon ami !

Je remarque sur ses lèvres, un petit sourire en coin, comme si cette annonce l'avait rassuré. Je l'observe un instant. Je ne me suis jamais vraiment posé la question de ce qu'il voulait réellement obtenir de moi. Était-ce juste le plaisir de jouer avec moi ? Me torturer psychologiquement en me faisant croire qu'il savait qui j'étais ? Ou était-il intéressé par autre chose ? Marcel, lui, est persuadé que je lui plait, et qu'il souhaite obtenir autre chose de ma part. Je lui ai répondu que s'il avait voulu autre chose, il n'aurait pas attendu d'avoir mon approbation. Les SS ne sont pas connus pour leur tendresse et leur pitié...
Les discussions s'enchaînent les unes après les autres sans aucune coupure. Une conversation comme si nous étions des amis de longue date. C'est très étrange car à mon arrivée, j'espérais déjà voir venir la fin de la soirée. Et puis finalement, cet homme aussi méprisable qu'il soit est également très intéressant. Un homme cultivé avec de très bons goûts en matière de lecture mais aussi de musique. Il aime le théâtre, l'opéra et la peinture. Si on ne savait pas ce qu'il était réellement, on aurait presque pu penser qu'il était l'homme parfait.
Il est déjà vingt et une heure et je n'ai pas vu le temps passer. Alors que je regarde l'horloge accrochée au dessus du bar, Emmrich me dit:

-  Il est trop tard pour que je vous invite au restaurant. Voulez-vous m'accompagner à la Kommandantur pour que nous puissions manger quelque chose? Je vous raccompagnerai ensuite chez vous.

Je suis un peu surprise par sa demande. Je comprend bien qu'il ne veut pas que la soirée s'arrête ici. Je suis un peu partagée entre l'envie de continuer cette soirée et me rapprocher un peu plus du tiroir mystère, et la crainte que cela puisse déraper... Je décide de tenter le diable malgré tout et j'accepte de le suivre.
Nous arrivons à la cantine. Emmrich me demande de m'installer à la table des officiers qui à cette heure là est vide, et il part chercher de quoi manger. Il revient quelques minutes après avec un plateau dans les mains. Il rit comme un enfant qui vient de faire une bêtise, ce qui me fait sourire.

-  Alors au menu, pièce de bœuf, pomme de terre et navet.

Je souris. L'avantage quand on travaille pour les Boches, c'est qu'on peut manger de tout. Eux arrivent à se fournir et ne sont pas restreints, contrairement à nous. Avec Marcel ça fait presque trois mois qu'on a pas trouvé un morceau de viande à la boucherie. J'engloutis rapidement mon assiette. Il retourne à la cuisine et revient avec deux parts de gâteau ! Nous sommes tellement rationnés en sucre, beurre et œufs, que ça doit faire depuis juin 1940 que je n'ai pas mangé de pâtisseries !

-  C'était l'anniversaire de l'Obersturmführer Stanzer aujourd'hui. Je lui avais demandé de me laisser un peu de gâteau.

J'en ai l'eau à la bouche mais je me sens également coupable. Pourquoi aurais-je le droit d'avoir accès à ses privilèges ? Je perds un peu de mon enthousiasme et je finis par refuser le morceau de gâteau.

Coucher avec l'ennemiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant