Chapitre 13

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Nous sommes mardi. Je suis un peu nerveuse à l'idée de passer un moment avec Eisenmann. J'arrive devant le café de Gaston. Il est déjà blindé de Boches et je me sens mal à l'aise. J'aperçois le lieutenant près de la porte et il me fait un petit signe de la tête pour que je le rejoigne. Je m'exécute et lorsque je suis près de lui, il m'observe un long moment sans rien dire, ce qui me rend d'autant plus mal à l'aise. 

-  Vous êtes ravissante.
-  Je vous remercie.

Il ouvre la porte du café, laissant s'échapper un nuage de fumée. L'odeur de bière, de vin et de cigarettes vient me picoter les narines. Les rires cessent un instant et certains soldats saluent le lieutenant à son passage. Je baisse les yeux, et j'essaie de ne pas croiser leur regard. L'avantage d'être ici, c'est que les Français ont déserté les lieux. Nous nous installons au fond de la pièce et le lieutenant allume une cigarette tout en continuant de me fixer.

-  Alors comme ça, vous faites de la rébellion mademoiselle Alice ?

Sa question me déroute un peu.

-  Heu et bien ... non. Pourquoi dites vous cela ? 

Il sourit en voyant mon malaise.

-  Et bien oui, se baigner dans une zone interdite est considéré comme de la rébellion.

Je lève les yeux au ciel. Il aime jouer avec moi. Je sais qu'il me teste. Mais comme à chaque fois que je suis en sa présence, je me sens intimidée et impressionnée. Est ce que c'est parce qu'il est un lieutenant SS et que je sais de quoi ils sont capables ? Son regard pesant m'oppresse. Je sais qu'il m'observe, qu'il me scrute. Je décide alors de délier ma langue et de le questionner à mon tour.

-  Est ce que je peux vous poser une question ?
-  Allez y, je suis curieux de l'entendre.
-  Vous m'avez dit que votre père souhaitait vous faire entrer dans la SS. Mais vous ? Le voulez-vous vraiment ?

Pendant un moment, j'ai l'impression de l'avoir déstabilisé. Son regard passe furtivement d'un objet à l'autre avant de revenir se noyer dans le mien.

-  Pourquoi voulez vous le savoir ?
-  Vous ne répondez pas à ma question lieutenant. Je suis curieuse moi aussi.

Ma remarque le fait sourire.

-  Je vois cela. Et bien, oui je le voulais aussi.

Lorsque j'entends sa réponse, je ressens un pincement à la poitrine. Comme un sentiment... de déception ! "Mais non, pourquoi je serais déçue, je m'en fiche..."

-  Vous avez perdu votre langue ?

Je me rends compte que j'ai baissé le regard sur mon assiette.

-  Etes vous déçue ?
-  Heu...Non. Après tout, ce sont vos choix.

Je lui adresse un léger sourire mais ce fichu sentiment continue à me ronger. A quoi je m'attendais ? Qu'il me dise qu'il avait été enrôlé de force mais qu'il n'aimait pas ce qu'il faisait ? Qu'il faisait partie des "gentils? Que je peux être stupide parfois...

-  Vous savez, le parti nazi m'a presque été imposé à ma naissance. Je suis Allemand. Si j'étais né en France, peut-être que les choses auraient été différentes.
-  Probablement.

La soirée se termine. Il pleut, c'est bientôt l'heure du couvre feu et il n'y a plus grand monde dans les rues. Eisenmann insiste pour me raccompagner, et il m'abrite sous un parapluie jusqu'à ce que nous atteignons le porche du bâtiment. Alors que je m'apprête à le remercier pour pouvoir rentrer chez moi, il réduit la distance qui nous séparait et plonge ses prunelles bleues dans les miennes. Il est très proche, trop proche. Soudain, je sens sa main effleurer la mienne. Il quitte mon regard un instant pour accompagner son geste. Mon regard ne quitte pas son visage et un sourire se dessine sur ses lèvres. "Mais bouge Alice !". Malgré mon envie de le repousser, je reste immobile alors que sa main termine sa course derrière ma nuque. Son regard se plante à nouveau dans le mien.

-  Que ressentez-vous Alice ?  Chuchote-t-il.

Je n'entends même plus le cliquetis de la pluie. Je suis hypnotisée. Je n'ose plus bouger.

-  Je... je...

C'est comme si j'avais perdu ma langue. Son sourire s'élargit. Il continue à se jouer de moi. Il rompt alors le contact et recule d'un pas, toujours en me regardant. Mon cerveau qui m'avait alors lâchement abandonné refait surface.  Je détourne le regard et m'éclaircit la gorge.

-  Je... je vous remercie pour cette soirée. Au revoir.

Son regard n'a pas bougé et est toujours fixé sur mon visage. Toujours avec le même sourire aux lèvres, il dit:

-  A très bientôt Alice...

Je le regarde partir, affrontant la pluie battante. Mon cœur qui avait commencé une course effrénée, commence à réduire la cadence. Je secoue la tête. "Mais quelle idiote ! Incapable de lui tenir tête !". Je monte les escaliers pour rentrer à l'appartement, en colère contre moi-même. Je dépose mon sac et mon foulard sur le porte manteau et je vais rejoindre Marcel. Je lui adresse un sourire amical, lui montrant que je ne lui en veux pas. Il me pose alors des questions. Je lui raconte la soirée et je finis par abréger la fin en disant qu'il m'a déposé devant l'appartement et qu'il est reparti.

Coucher avec l'ennemiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant