Legend of Shapeshifters (T2)

Chapitre 20 : Les liens du sang

Huit jours de marche ne suffisaient pas à guérir un cœur brisé.

L'air était bon, les fruits dans les buissons étaient mûrs, et l'eau des ruisseaux pure. Plus l'on avançait, plus les nuages à l'horizon se changeaient en crêtes rocheuses. Tout était calme et rien ne vint troubler le trajet d' Elv et Yaren jusqu'à Ragnok. Pourtant, la jeune fille s'était rarement sentie aussi triste de toute sa vie.

Quelque chose manquait dans le creux de son ventre. Un vide qu'elle ne parvenait pas tout-à-fait à saisir, comme si le monde s'était mis à tourner très lentement. Ce n'était pas une rupture et pourtant, cela sonnait tout comme. Elv revenait à Ragnok, et elle ne savait pas si elle pourrait un jour en partir. Pire encore, elle s'en était allée pour les montagnes, et Wade, qu'elle aimait, adorait, adulait, l'avait regardée prendre ses affaires sans broncher.

Était-il possible d'éprouver autant de rancœur et d'amour pour quelqu'un ?

« Elv ? »

La jeune fille releva le menton de ses genoux. Assise contre un hêtre rouge, elle s'était recroquevillée entre deux racines en attendant que Yaren profite de l'eau claire d'une source. Mais le tigron était devant elle, ses grands yeux bleus et inquiets posés sur son visage. Elv se redressa tout-à-fait, essuya furtivement ses paupières et le prit dans ses bras.

« Alors Yaren ? S'exclama-t-elle en lui chatouillant le ventre. Hâte de découvrir les montagnes ? »

Le chaton poussa des éclats de rire et se tortilla dans les bras de la rouquine sans parvenir à articuler une seule phrase. Depuis leur départ d'Ewilem, l'enfant se sentait plus perdu que jamais, déçu par l'apparition fugitive et effrayante qu'avait été son père. Il était trimbalé de ville en ville dans les bras d'inconnus, sans espoir de retrouver sa mère au plus vite.

D'un autre côté, il pouvait se reposer sur Elv. Il sentait qu'elle n'allait pas bien, même si les détails de son histoire lui échappaient encore. Mais elle faisait tout pour lui cacher son chagrin et le faire sourire. Elle ne l'envoyait pas balader quand il parlait trop, au contraire, elle le relançait et avait l'air toujours intéressée par ce qu'il disait. Même Memphis semblait fatiguée de l'entendre baragouiner par moment. Et puis, Elv avait aussi tout un tas de choses à lui raconter. Si Wade avait été une vraie désillusion, Elv était, au contraire, une bouffée d'espoir.

« On est bientôt arrivés, affirma la rouquine en se relevant. Tu vois le pic là-bas ? Eh ben juste derrière, c'est Ragnok. 

- Avec Maman, on voyait les montagnes de loin quand on marchait jusqu'au bout du marécage, rétorqua Yaren avec fierté.

- Et là tu les verras de près ! Allez, en route ! »

Ils reprirent leur chemin, et les montées et descentes se multiplièrent. Le sentier s'enfonçait entre les versants des montagnes, se faufilait entre les falaises et les rochers, longeait les rivières glaciales.

Cependant, plus ils s'approchaient de leur destination, plus Elv se rongeait les sangs. Elle s'en voulait d'avoir agi avant d'avoir réfléchi en emmenant Yaren avec elle. En vérité, elle ignorait si elle était même capable de l'accueillir chez elle.

Étant une changeuse de petite taille, Elv vivait dans un type de quartier que l'on trouvait dans toutes les villes : les Souricières. Elles étaient un regroupement qui tenait dans l'espace d'une ou deux maisons, un amas de petites boîtes en bois ou en pierre, des habitations minuscules qui ne pouvaient accueillir que des familles de rongeurs, de lapins et de petits mustélidés. Elv avait toujours vécu dans des Souricières, et elle n'était pas prête de changer cette habitude.

Mais maintenant que Yaren était là, qu'allait-elle faire ? Serait-il suffisamment petit pour rentrer avec elle dans sa boîte ? Et même si par bonheur c'était le cas, si Elv ne trouvait personne pour se charger de l'éducation de Yaren, elle se retrouverait bien vite avec un tigre et un étalon sur les bras ! Elle tâcha d'oublier ses sueurs froides et accéléra le pas, le regard fixé sur les monts.