Chapitre 10 : Vengeance

3 0 0
                                    

Kimelano. Le royaume le plus puissant de Nouklyën, le plus grand, le plus dangereux de tous. Car celui qui gouvernait Kimelano gouvernait le monde. Tout le monde le savait. Morkräg mieux que personne. Il était né ici. Il connaissait toutes les rues de sa ville natale, toute la géographie du royaume même ainsi que son histoire. C'est comme s'il était lui-même Kimelano. Le trône lui appartenait depuis longtemps. En l'occurrence, c'était un usurpateur qui régnait ici. Mais cela ne durerait pas. Certes, les conséquences du changement de couleur de la Tulipe étaient à peine perceptibles sur ce territoire, mais lorsqu'il en prendrait les commandes, les choses changeraient drastiquement. Morkräg pouvait sentir l'air vibrer. La tension dans le royaume était à son paroxysme. Il suffisait d'un malin petit coup de pouce et Kimelano sombrerait dans le chaos. La guerre civile.

Le royaume était déjà un territoire divisé avant la transformation de la Tulipe. Kimelano était un territoire en forme de cercle, tout comme Toowaïyeff. Mais c'était à l'intérieur des frontières que les tensions se faisaient sentir. Le royaume était divisé en douze cantons, parfaitement égaux entre eux afin de limiter au maximum les conflits internes. Kimelano avait en fait la forme d'une rosace à douze branches. Chacune était spécialisée dans une magie lumineuse particulière. Les rivalités entre cantons provenaient surtout du fait que les habitants se disputaient le titre de la meilleure magie de lumière. Ce sujet de discorde étant futile aux yeux des autres monarchies de Nouklyën, il avait été décrété que le roi ou la reine de Kimelano devrait être élu par Nouklyën tout entier, afin d'assurer que la guerre civile entre les cantons n'éclatât pas. C'était de cette manière que le monde avait « élu » d'abord Lüna puis Tranyëm comme souverains de Kimelano. Leur sagesse et bonté étant louées par les monarques du reste du monde, les votes furent unanimes.

Evidemment, Morkräg venait bousculer l'ordre des choses. Tout d'abord, au-delà de sa vengeance personnelle, cela faisait depuis l'adolescence qu'il trouvait ce système de vote étendu, injuste. Ce n'était absolument pas aux autres de décider qui serait roi ou reine. S'il devait avoir y un vote, cela devait être dans l'enceinte de Kimelano. Il n'était bien sûr pas le seul à penser de cette manière... En théorie, les habitants de Kimelano savaient très bien pourquoi il en était ainsi. Mais nombre d'entre eux, pour ne pas dire la majorité, se sentaient humiliés par cet étrange système de vote. En effet, c'était comme si le monde les considérait comme des enfants, incapables de se gérer seuls.

Morkräg avait bien l'attention d'utiliser à son avantage ce désaccord ainsi que les conflits internes. Une fois qu'il serait roi, il obligerait le monde à se plier à sa volonté. Il instituerait une démocratie restreinte à leur seul royaume, il en avait fait la promesse il y a bien longtemps. À une époque, Tranyëm voulait la même chose que lui, mais aujourd'hui il était devenu l'inverse de ce qu'il aurait dû être. Un tyran. Camouflant son ego surdimensionné et sa cruauté sous un magnifique manteau de lumière. Voilà ce que songeait Morkräg. Les simples d'esprit étaient aveuglés et l'adoraient sans s'apercevoir que Tranyëm n'offrait rien en échange de cet amour. Mais lui, Morkräg, qui incarnait les ténèbres, était limpide. Il ne cachait rien de sa véritable nature. Il n'avait été hypocrite qu'au début de sa vie, durant toute sa jeunesse, jusqu'à sa rencontre avec Xinä. Tranyëm, lui, avait toujours été un fabulateur. Et c'était grâce aux ténèbres que le mage s'en était rendu compte.

Au départ, il avait cherché à créer une magie d'empathie, capable de rendre heureux n'importe qui. Le fait qu'il puisse sentir les désirs des hommes et potentiellement les assouvir lui permettait de détenir la clé du bonheur humain. L'amour inconditionnel incarné par Tranyëm était un mensonge éhonté. Tranyëm aimait uniquement l'amour que lui portaient ses fidèles. Et l'inverse était vrai aussi. Ils étaient égoïstes, ne pensaient pas à rendre l'autre heureux, sachant que tout ceci n'était qu'une illusion. Les humains ne peuvent se contenter de ce genre d'« amour ». Seule la satisfaction d'un désir assouvi procure le contentement. Tranyëm, sa mère, leurs fidèles, ils ne connaissaient rien à celui-ci. Ils étaient tous éternellement frustrés et trop fiers pour seulement penser à leur prochain. Et c'était lui, Morkräg, que le monde prenait pour un fou, un homme cruel sans aucune bienveillance ?! Mais ils ne savaient rien ! Paix, bonheur, amitié, amour... Ils n'avaient jamais connu de situations et d'émotions inverses. Ils ne connaissaient pas les désordres intimes, au fin fond de leur psyché parce qu'ils étaient aveugles à eux-mêmes. Ils n'avaient jamais goûté à l'idée de joie, extrême, puisqu'ils n'avaient jamais ressenti de désespoir assez profond pour que même les ténèbres s'illuminent. Ils n'avaient jamais réellement ressenti de l'amour ou de l'amitié pour quelqu'un parce qu'ils n'avaient jamais été trahis, telle était la certitude de Morkräg. Ils ne connaissaient pas la valeur des choses les plus essentielles à la vie. Mais lui était né pour les éclairer. Il ferait en sorte que les humains ressentent de la sympathie à son propos. Et une fois que ce serait le cas, ils l'aimeraient et lui les aimerait en échange, de la manière la plus pure qui soit. Il pourrait même satisfaire leurs désirs, et eux aussi lui donneraient ce qu'il voudrait.

La Tulipe NoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant