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Chapitre 19

☆

—MAYA—

"Quand deux étoiles sont trop proches et que l'une d'elles explose en supernova, il arrive qu'elle condamne l'autre étoile à errer sans trajectoire dans l'univers. On les appelle les étoiles vagabondes."

– Nekfeu

    En tentant de garder les paupières ouvertes malgré ma fatigue, je cache mes mains dans la poche kangourou du sweat noir d'Eliott bien trop grand pour moi. Marcher dehors la nuit m'a toujours mis mal à l'aise. Je suppose que Paris, le soir, et ses petites ruelles mal éclairées, m'ont laissé mes anciennes craintes. 

Ma tête est baissée et voyant que je suis à la traîne du groupe, je ré-accélère pour les rattraper. Lila, en me voyant arriver brusquement entre elle et Aaron, m'attrape le bras en plaisantant qu'elle ne souhaite pas me voir m'écrouler de fatigue au milieu de la route.

Il est vrai que depuis que je ne travaille plus à la Sirène, je tente de m'occuper l'esprit en exprimant mes sentiments sur des toiles. Mon amie a aussi joué un rôle important dans mes insomnies même si elle n'en est pas au courant. En effet, depuis que mes journées ne sont plus que vingt-quatre heures à combler, disons que l'idée de vraiment commencer à commercialiser mes toiles se fait de plus en plus importante. Mais aucune de mes peintures ne me satisfont et beaucoup sont abîmées d'avoir passé trop de temps sous mon lit ou dans la buanderie, sous les poussières, cachées des regards trop indiscrets.
En revanche, si il y en a bien une que je souhaite qu'elle atteigne le niveau d'excellence tant recherché, c'est celle de la plage, du brun et de la blonde dans la mer, le frond de la femme appuyé sur l'épaule de l'homme, le front de l'homme sur la tête de la femme. Comme si ces deux êtres criaient tout en délicatesse, sans brutalité, leurs souffrances au monde entier. Monde sourd. Mais la mer risque de grimper, les engloutir.

Une vraie souffrance est ce qu'il y a de plus précieux chez un Homme. Une vraie souffrance ne se montre pas. Elle reste bien tassé sur elle-même, pour prendre le moins de place dans son esprit. Mais c'est dur, tellement dur de tout garder pour soi. Alors, dans le meilleur des cas, la souffrance se distille au fur et à mesure des mots, des coups de pinceaux, comme pour se libérer et aller hanter quelqu'un d'autre, dans le pire des cas, ça explose. De la plus subtile à la plus brutale des manières. Sans prévenir. En silence, noyée sous les larmes, terrifiée par l'idée de se confier pour se délester de ce fardeau, jusqu'à suffoquer sans le moindre bruit, noyé. Au milieu des cris, des assiettes cassées, des tableaux déchirés, des larmes de colère, avant que tout ne s'éteigne. La pire des manière car elle en vient à faire souffrir ce que nous aimons, avant qu'eux aussi ne disparaissent.

Le cycle de la vie. Pas celui que nous avions choisi, pas le meilleur ni le plus doux et calme, mais le plus dévastateur. Celui qui mélange haine et peine. Celui que les gens dépeignent, à travers les mots, les coups de pinceaux. Celui qui inspire et crée trop de personnes malsaines. Pretes à tout pour se venger, sur ceux qui n'ont rien fait.
Rouge et bleu. Noir et blanc. Deux sentiments au total opposés, mais qui se complètent et s'attirent inexorablement.

Cette toile semble mélanger réalisme et impressionnisme, teintes froides et chaudes, tons pastels et vifs tout en laissant leurs places aux tons plus ternes.

Cette toile, c'est des années d'essais et de brouillons sur une toile, travaillée et retouchée depuis plusieurs jours. Et étrangement, je la trouve bien plus réussie que toutes les autres ayant fini en lambeau devant mon éternelle insatisfaction et mes crises de nerfs.

– Maya ? me ramène à la réalité Lila,
– Hmm ?
– C'est toi qui as les clefs du portail, j'aimerais bien vite rentrer pour éviter de servir de casse-croûte aux moustiques.