Gilbert et la Pomme

9. Étamines

Ton premier jour au sein de la résistance fut l'un des plus angoissant pour moi.
L'oreille tendue, toujours à l'affut du moindre bruit, de la moindre potentielle menace, je t'avais fait promettre de rester derrière moi.

Tu obéissais bien sûr, luttant contre la curiosité et l'envie d'en voir plus.

Mes compagnons te regardaient tous avec des yeux amusés.

"Amener une gamine ici..." me disaient-ils sur le ton du reproche, "Mais tu es complètement timbré !"

"Le Gérard a bien embauché son fils !" Rétorquai-je pour me justifier.

"Mais Gilbert, c'est un gars qu'il a, pas une petite ! Elle ferait bien mieux de rester à la maison, elle va nous ralentir."

A ce moment, un mélange de culpabilité et d'indignation me parcouru. Oui, c'était irresponsable d'amener mon enfant ici, j'en étais parfaitement conscient, mais ça le restait peu importe son sexe. Si le fils du Gérard avait été embarqué dans le réseau, pourquoi pas la Pomme ?

Je prenais conscience de la force que tu avais gagné en grandissant, de la confiance que tu avais désormais en toi, et de ta volonté de faire tes preuves, de t'investir dans une cause qui te tenait à cœur, et pour laquelle tu donnerais tout.

Dieu que j'étais soudainement fier de toi et de ton choix, bien que la peur ne se détachait pas de mon ventre et continuait de serrer mon cœur de père.

Et tes preuves, tu les as faites.

Durant les jours qui suivirent, tu restas encore un peu en retrait, observatrice, prenant note de tout, analysant, le tout avec une assiduité d'élève model.

Les missions de sabotage devinrent tes principaux passages à l'action. Tu étais discrète : frêle et légère comme tu étais ; et la plus adroite de tous.

Les camarades finirent par te reconnaitre une certaine utilité et commencèrent à t'apprécier. Tu te faisais une place.

Et moi, j'observais ce spectacle dans mon coin, partageant tes victoires, mais aussi tes défaites. Je te voyais grandir plus vite chaque jour, devant forte et confiante.

Avais-je honte d'être fière de toi ? Le devrais-je ? N'étais-ce pas égoïste ? Être fier que sa fille s'intègre au sein d'un réseau de résistants, participe à des missions de sabotage, de recueillement s'informations, d'espionnage, et d'autres plus dangereuses, était-ce un comportement digne de celui d'un père ?

Je ne saurais dire.

Tout ce que je sais, c'est que je voyais ma fille grandir et s'épanouir d'une manière que je n'aurais jamais suspectée, si éloignée de celle que j'avais prévue pour elle et pourtant tristement efficace.

Rien ne pouvait mieux te préparer au monde, que d'en explorer les recoins les plus sombres, pour frayer un passage aux rayons de lumière.