The Scar - chapitre 2

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CHAPITRE 2

Troisième jour.

J'ai été patient, très patient. L'envie de me lancer dans l'enquête sans perdre un instant me prend aux tripes mais si je devance le FBI je serais grillé, je le sais. Et avec moi Thompson et Folkner. Si ça arrive, je pourrais dire adieu à mes recherches. Ces types-là n'aiment pas qu'on marche sur leurs plates-bandes. Mais ils n'avancent pas assez vite pour moi. Il leur a fallu deux putains de jours pour interroger ce que j'appelle les témoins indirects : famille, légistes et compagnie. A mon tour maintenant ! J'ai décidé de commencer par le premier légiste. Honnêtement je ne pense pas trouver grand-chose auprès des familles. Je verrais ça plus tard.

Assis sur un fauteuil de la morgue de Salem - Wisconsin, je relis mes notes sous la lueur des néons verts, couleur commune aux sous-sols. Pourquoi faut-il toujours que les morgues soient cachées ? Est-ce pour autant que la mort ne nous touche pas ? Certainement pas. Les hommes et leurs tabous ! Pfff. Bon, mes notes. C'est dans cette ville qu'on a retrouvé Jennifer Garrett, originaire de Dubuque – Iowa, à des centaines de kilomètres de là. La ville a-t-elle été choisie exprès pour son nom ou n'était ce qu'une coïncidence ? Encore une question à éclaircir. Ce n'était pas le Salem des sorcières, qui se trouve à des milliers de kilomètres d'ici, mais rien n'est à exclure pour trouver une piste.

Des pas lourds me font relever la tête : le légiste. Un homme plus proche de la soixantaine que de la cinquantaine, marqué par ses nombreux printemps mais aussi par les horreurs qu'il doit voir régulièrement – accidentelles ou non. Je me lève et lui tends la main, l'air le plus avenant possible.

Docteur Matthews ? Détective Xanders, enchanté.

L'homme fixe ma cicatrice avant de me tendre la main en retour. Je me demande à quoi il a pensé vu son métier.

— Détective. Vous savez j'ai déjà tout dit à vos collègues.

Le ton est limite sec, comme s'il était agacé qu'on l'interroge encore là-dessus. D'ailleurs j'avais dû insister furieusement pour le rencontrer. A croire que c'est trop de demander aux gens d'aider à retrouver un pédophile assassin, bordel. Je lui souris, mais pas trop. Je prends un ton qui invite à la compassion, autant que mes mots.

On ne travaille pas ensemble, vous savez. J'enquête pour une famille, leur fille a été enlevée et ils ont peur qu'il lui soit arrivé la même chose vu leur ressemblance.

Le médecin lâche un soupir et a l'air désolé. Enfin un peu d'humanité !

Je comprends... erm... Venez.

Il m'entraine vers un bureau dans le fond du couloir. Je lui emboîte aussitôt le pas.

— A dire vrai, je ne sais pas quoi dire de plus que ce que j'ai noté dans mon rapport. Vous l'avez eu ? J'affirme d'un signe de tête. On n'a peut-être pas l'habitude de ce genre de crime par ici mais je fais ce métier depuis quarante ans, je n'ai rien oublié.

— Je vous crois. J'aimerais juste comprendre certains points qui m'échappent. Je n'ai pas vos compétences.

Un peu de flatterie au passage. L'homme grogne plus qu'il ne répond et nous entrons dans un bureau exigu. Des tas de casiers métalliques recouvrent les murs, une seule petite fenêtre par laquelle on ne peut que voir les pieds des passants, pas de déco perso à part une photo de son mariage. J'ai le sentiment que sa femme n'est plus, instinct de flic disons. Je prends place sur la chaise face au bureau et attends que mon hôte du jour soit installé.

Bon, je vous écoute.

Je décide d'entrer directement dans le vif du sujet.

J'ai vu les photos du corps de la petite Garrett. J'ai déjà entendu parler d'embaumement, j'ai assisté à quelques enterrements mais jamais je n'ai vu un corps aussi bien conservé. Je pensais qu'au bout de quelques temps il dépérissait à moins d'être momifié. Et là, si j'ai bien compris, il était à l'air pendant des mois avant qu'on le trouve ...?

Oui, je me suis fait la même réflexion sur le coup. Quand on traite les corps, on ne pratique qu'une simple thanatopraxie. Dans certains cas, comme pour les grands brûlés, le travail est plus important mais pas à ce point. La personne qui a fait ça a fait une thanatopraxie définitive.

Je fronce les sourcils, pas certain de comprendre.

N'est-ce pas toujours définitif ?

En un sens oui. On ne peut revenir en arrière. Mais avec le temps les produits chimiques s'altèrent pour que l'on redevienne poussière voyez-vous, alors que là, pour imager, c'est fait pour durer. Je vais vous montrer.

Il fouille dans un tiroir et en sort un livre dont je n'ai pas le temps de voir le titre. Il tourne quelques pages et me tend le bouquin. Une photo d'une enfant, semblable à celles des petites filles mais celle-ci a les yeux fermés. J'en ai des frissons.

La momie de Rosalia Lombardo, embaumée en 1920 par un thanatopracteur italien. Un parfait exemple de thanatopractie définitive. Elle est restée intacte.

Je reste figé sur la photo en entendant ces mots puis relève les yeux vers le médecin, incrédule.

Comment...

— Les mêmes procédés mais des doses beaucoup plus importantes de fluides concentrés en formaldéhyde. À faible dose, ces biocides préservent les tissus, à forte dose, ils les fixent en les durcissant.

Je griffonne quelques mots en me fichant de leur orthographe et me gratte la tempe. Mon cerveau bouillonne.

Ça se trouve facilement le ... ces fluides ?

Non, d'autant plus que c'est fort toxique. Certains en produisent artisanalement mais autant dire que c'est mortellement dangereux. Vous savez, tout le processus d'embaumement est dangereux, on doit suivre des normes de sécurité très strictes si on ne veut pas finir avec de multiples cancers. Il faut des installations particulières, à commencer par une bonne ventilation. Il faut aussi...

J'écoute mais je remarque vite que le médecin est parti dans un éloge de son métier à hauts risques. Je note quand même ce qui me parait important comme les produits chimiques utilisés, les compétences qu'un thanatopracteur doit avoir, ainsi que les grandes lignes des étapes pour embaumer un corps. Tout ça m'en dira plus sur mon homme. Je n'apprends rien de plus concernant la fillette directement, ni même pourquoi le tueur s'en est délesté - c'eut été trop beau - mais j'ai le sentiment d'avoir avancé.

En quittant la morgue, je remercie vivement le médecin qui me souhaite bonne chance dans mon enquête. Pour sûr, de la chance, j'en aurais besoin : ce salop est méticuleux, il ne se fera pas avoir facilement. Mais je l'aurais, j'en faisais la promesse.

C'est déjà la fin de l'après-midi lorsque je reprends la route. La radio passe une reprise de One of us par Martyn Joseph. Je sais déjà pas si dieu existe vraiment, alors si c'est l'un d'entre nous... Quelle question je lui poserais ? Putain, une seule ça serait difficile. Je pense plutôt que je lui foutrais mon poing dans la gueule. Bref.

The scarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant