Sheyla Khairi
J'observe les trois photos accrochées sur le tableau de liège devant moi. Mes trois cibles. J'entends parler d'eux depuis des années mais c'est la première fois que je vois vraiment à quoi ils ressemblent, ailleurs que sur cette photo d'eux enfants qui a permis à Osborne de retrouver ses souvenirs.
Elle est derrière moi, Osborne. Dans l'écran de mon ordinateur que je ne regarde même pas.
— Vous avez bien compris ? demande-t-elle. Ils doivent croire qu'ils ont le choix.
— J'ai bien compris, oui. Pourquoi vous n'allez pas les chercher vous-même, ça par contre j'ai du mal à comprendre.
— Je n'ai pas le temps et pas la possibilité de sortir sans risque. C'est votre mission, vous l'avez accepté depuis longtemps.
— Hmm.
Il n'y a jamais autant de délais entre le moment où j'accepte une mission et celui où elle se concrétise d'habitude. Un attentat est pressenti, on m'envoie, j'y vais. Une prise d'otage a lieu quelque part, on m'envoie, j'y vais. Un réseau d'une quelconque organisation doit être démantelé, on m'envoie, j'y vais.
Cette fois c'est différent, aller chercher et former de nouvelles recrues n'a rien des missions de terrain dont j'ai l'habitude. Mais elle est plus importante que jamais. C'est la seule raison pour laquelle j'ai accepté, une raison qui surpasse toutes celles qui aurait pu me pousser à refuser, comme le fait d'être supervisée par Osborne.
L'histoire de ce qu'il s'est passé avant l'Effacement, l’histoire de son échec, a été retracée par ses propres souvenirs. Elle s'est rapprochée de Kingsley, a instrumentalisé des enfants, dans le but dès le départ d'empêcher l'accès au pouvoir de Shaft. Aujourd'hui ça fait cinq ans qu'il dirige le continent, mais elle semble n'avoir perdu de crédit aux yeux de personnes ici à part moi.
— Vous êtes prêtes ? demande-t-elle une dernière fois.
Le même scénario va se répéter, les mêmes garçons vont être exploités sous les ordres de la même personne, mais ça peut marcher. Son erreur peut tourner à notre avantage. C'est la seule chance qu'il nous reste.
Je hoche la tête et coupe la visio avant qu'elle n'est pu ajouter quoique ce soit. C'est ma mission à partir de maintenant, je connais les consignes, je n'ai plus besoin d'elle.
— Est-ce que tu viens de raccrocher au nez de Louna ?
Je tourne la tête. Caleb est dans l'encadrement de la porte, le regard rivé sur mon ordinateur.
— Pourquoi tu m'as pas prévenu qu'elle appelait ?
— Parce qu'on s'en fout, je réponds. Depuis quand tu l'appelles par son prénom ?
— On travaille ensemble depuis un an.
Il approche dans mon dos et observe les photos de nos cibles. On les connaît par cœur, des dossiers complets sur eux ont été rédigés à l'aide des souvenirs de Osborne et des observations faites par nos agents chargés de les surveiller depuis quatre ans.
Je tapote la photo de Jaden.
— Ce sera le plus facile à convaincre, je vais commencer par lui.
— OK. Et tu pars quand ?
Je récupère mon arme et mes clés de voiture sur la table.
— Maintenant.
*
Située à cent kilomètres de la ville la plus proche, sans particularité ni réputation, occupée de criminels sans histoire hormis celle d'un crime isolé et ponctuel qui les y a mené, si je devais choisir un lieu pour métaphoriser le sort d'un Effacé, la prison de Sherrington ferait l'affaire.