Evan Kingsley
Je laisse mon pouvoir consumer la fin de ma cigarette pour n'en laisser que des poussières aussitôt emportées par le vent. Officiellement, ça fait deux mois que j'ai arrêté de fumer, autant de temps que je me suis mis à le faire en cachette, donc.
Jaden a failli me surprendre en sortant dans la cours, mais j'ai eu le temps de m'asseoir sur le bord d'une grille d'aération légèrement enfoncée dans le mur, les jambes repliées pour qu'il ne me voit pas. Sheyla l'a rejoint, ils viennent de partir, et leur discussion passe encore dans ma tête.
“Une arme dirigée sur Nate dans ta main devient aussi inoffensive qu'un jouet."
Jaden a pointé une arme sur Nate. Je sais pourquoi, j'ai vu le moment où ça a dégénéré, et c'est ces mots que j'entends le plus : "ça fait déjà des mois qu’on se dépasse tous les trois pour ne plus que ça dégénère, si ça n’a pas suffit je vois pas ce qu’on pourrait faire de plus."
J'ai appris à me dépasser sans que ça ne suffise jamais il y a des années. Je me dépasse tout le temps, je me pousse trop loin parfois, mais dans ces situations où tout dégénère, il faut que quelqu'un tienne pour prendre les choses en main, et ce quelqu'un c'est moi. Je fais tout ce qu'il faut pour être toujours prêt à l'être.
Je sais très bien et ils me l'ont encore prouvé que je ne peux pas me reposer sur Nate et Jaden.
Je quitte la cour pour rejoindre Sheyla, que je trouve dans le couloir à côté d'un drap dans lequel j'ai enveloppé deux corps. Je les ai tous recouvert de cette manière après avoir nettoyé le sang répandu dans les moindre recoins de la base. Chaque sensations reste imprimée dans ma mémoire, l'eau de la serpillère que le sang dilué colorait en rose, les visages inanimés aux yeux ouverts et vitreux, l'odeur de fer partout dans l'air…
Je suis resté seul neuf heures, je n'aurais pas pu les passer entouré de cadavres. Et je voulais me tester, me confronter à ça de près, je dois en être capable. Si un jour la mission me pousse à presser sur la détente face à un humain et non un muté, il ne faudra pas qu'une seule seconde d'hésitation me ralentisse.
— On devrait mettre tous les corps dans la même pièce, suggère Sheyla, en attendant de pouvoir s'en débarrasser correctement. Tu m'aides ?
— Caleb serait utile.
— Il dort.
— Je pourrais très bien aller me coucher aussi dans ce cas.
Elle soupire.
— Il a créé un passage jusqu'au cimetière où est enterré ton frère en à peine quelques secondes, c'est dangereux pour lui de forcer autant sur son pouvoir, il s'est vraiment mis en mauvais état.
— C'est irresponsable, je commente en agrippant les jambes d'un corps que Sheyla vient de soulever sous les bras. Tout comme le fait de l'avoir gardé ici en sachant que ce genre de choses pouvaient arriver.
— Ce genre de choses n'auraient jamais dû arriver justement, mais puisque c'est le cas, savoir comment pour comprendre la faille dans tout ce qu'on a mis en place pour sécuriser cette mission et la corriger devient primordiale.
Sheyla lâche le corps pour ouvrir la salle de simulation, et on le dépose là, prêt d'une chaise sur laquelle un homme est avachie et attaché, un sac sur la tête.
— Endormi, précise Sheyla.
— En fait si Caleb est resté c'était justement pour attirer ses hommes et vérifier s'il y avait une faille dans la sécurité. Vous avez garder celui-là en vie pour l'interroger et comprendre comment ils nous ont retrouvés.