La Souveraine.
Octobre, Moscou, Russie.
Les derniers spectateurs sortent joyeusement du Bolchoï, inconscients de ce qu'il se passe autour d'eux, profitant des derniers instants de plaisir que la nuit a à leur offrir. Ils imitent avec dérision le ballet qu'ils viennent de regarder. Leur allégresse et leur naïveté se mélangent à l'emprise du joint coincé entre mes doigts et je me retrouve à sourire face à cette vue.
J'ai voyagé dans les plus beaux pays, visité les plus élégantes capitales, admiré des merveilles architecturales, pourtant, rien n'est plus magique que la place du théâtre illuminée en pleine nuit, vivante grâce à des jeunes insouciants profitant d'instants uniques.
Les dernières feuilles du dossier que j'avais dans les mains se retrouvent à voler sur le sol du salon, déjà surchargé par des tas d'autres. Le vent passant à travers la fenêtre me provoque un frisson. J'ai mis un bordel sans nom pour rien. Trop peu d'informations, j'ai trop peu d'informations pour avancer.
Mais la satisfaction de devoir les chercher est exaltante. C'est une passion malsaine, une partie sadique d'un jeu duquel je ne serais pas la perdante.
Le groupe a fini par disparaître dans des éclats de voix à l'intérieur d'un hall, redonnant un silence fascinant au quartier. Le lieu, qui est un point de rencontre pour les habitants en journée, devient subitement abandonné à la tombée de la nuit - laissant les boutiques de marques plus luxueuses les unes que les autres se perdre dans l'ombre - et fait place à un marché peu connu des habitants de Moscou.
Un bruit sourd m'enlève de cette contemplation que je n'ai plus l'habitude d'observer. Le chat de son voisin est sur le bord de sa fenêtre, à quelques centimètres de moi. Il reste pétrifié de longues secondes avant de sauter de nouveau de l'autre côté du muret.
Un nouveau dossier à la main, l'ordinateur sur mes jambes enroulées dans une de ses couvertures, je fouille à la recherche du moindre indice pouvant m'indiquer au moins où elle se trouve alors que l'ambiance devient de plus en plus macabre.
Un grincement du parquet me fait regarder par-dessus l'écran. Elle est là, à me regarder. Je sais qu'elle s'impatiente.
J'enlève Tchaïkovsky de mes oreilles et sors de son sofa dans lequel j'étais confortablement installée depuis de longues minutes, profitant d'un moment hors du temps, où le sang et la mort ne tournent pas autour de moi comme une ombre accueillante et familière.
Je tends l'oreille pour avoir la confirmation que ses enfants ne se sont pas réveillés, tout en sachant que ce ne sont pas eux qui m'ont sortie de cette transe. Je finis la bière devenue tiède depuis un long moment, avant de me replonger dans un labyrinthe complexe tout en gardant un œil sur l'homme allongé devant moi.
Un second bruit, plus léger, me confirme que je n'ai pas imaginé le premier. Celui-ci est doux, presque mélodieux. C'est la raison pour laquelle je prends mon temps avant de me diriger vers lui.
Elle ne bouge toujours pas de sa place pendant que je dirige vers l'homme souffrant et sanguinolent sur le sol de son propre salon. Son allure n'est plus aussi raffinée que quand je l'ai abordé en pleine exposition. Son costume de luxe est froissé, déchiré - plus si gris qu'autrefois. Une unique et profonde entaille décore son abdomen - une blessure mortelle pour la plupart des personnes. Seulement, il a trouvé assez de ressources pour chercher à tâtons son téléphone qu'il avait délaissé sur son canapé.
C'est fascinant de voir une personne, dont le métier est de tuer, vouloir survivre coûte que coûte. C'est fascinant de voir qu'une personne dont la vie est comblée par le sang et la violence ne peut pas supporter sa propre fin. C'est captivant de voir que, même les gens les plus corrompus et mauvais ont peur de la mort. Il se retient à ce minuscule fragment de vie comme s'il avait une chance de survivre alors qu'Elle est à ses pieds.
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Killing Spree
RomanceAu milieu d'une ville gangrenée par les mafias, une figure domine: la Souveraine. Maîtresse dans l'art du subterfuge et de la manipulation, elle manie ses compétences avec une aisance terrifiante, son nom résonnant dans les rues de Moscou telle une...