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La Souveraine.

Octobre, Périphérie de Moscou.

Le vent a fini par se calmer légèrement, ainsi que la pluie. La lune laisse place au soleil, mettant en valeur les dégâts d'une nuit mouvementée aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. La tempête intérieure a été aussi dévastatrice que celle qui a eu lieu autour de la maison. Le rez-de-chaussée a été témoin de l'exaltation de cette anarchie: des assiettes ont terminé en dizaines de morceaux dans l'évier, des vases se sont écrasés sur les murs, laissant les fleurs recouvrir le sol dans un dessin sépulcral.

Seule dans la cuisine à préparer le petit-déjeuner, je reste cantonnée dans cet état de semi-conscience, à observer les pancakes cuire calmement, presque comme si l'explosion n'avait été que le fruit d'un fantasme. L'unique bruit se faisant entendre au rez-de-chaussée est celui de l'aspirateur qui fait disparaître les dernières traces.

L'esprit absent, je n'arrive pas à me concentrer sur ce qu'il m'entoure. La sensation de vide est encore présente, comme un spectre qui m'emprisonne et me paralyse. Il est présent tous les matins - c'est presque devenu coutumier et en quelque sorte rassurant. Ne pas réfléchir et se laisser porter, indifférente à ce qu'il pourrait advenir.

L'alarme incendie se met à sonner. Dans des gestes mécaniques et répétés, je balance le pancake brûlé sur une assiette avant de passer la poêle sous l'eau. Une fumée blanche se disperse dans la cuisine, m'aveuglant à moitié. J'éteins la plaque puis l'alarme avant d'ouvrir la baie vitrée et de m'asseoir sur la première marche.

J'ai l'impression d'être une spectatrice éteinte d'une vie teintée d'épouvante. J'observe le monde vivre, les personnes exister sans pouvoir avoir une idée du bonheur qu'ils peuvent ressentir tandis que je reste immobile, vivant ma vie de l'extérieur, la laissant s'échapper.

Tout devient de plus en plus fade, de plus en plus insipide. Un des moments où je me laisse emporter dans un sentiment puissant, énergique est lorsque je peux apercevoir le lever de soleil. Le tableau est si profond que j'oublie ce pourquoi je suis là, ce pourquoi je perds ma sensibilité. Les couleurs safranées se répercutent sur l'aire de jeu ainsi que le terrain de foot, se reflètent sur la dépendance blanche et forment un tableau qui me donne le courage de continuer.

Dès mon plus jeune âge, j'ai voué une obsession à l'aube. Regarder le soleil apparaître au-dessus de la mer, entendre les premiers bateaux sortir du port. C'était le seul moment de la journée où la maison était calme et où personne ne courait et ne criait dans les longs couloirs. C'était le seul moment de la journée où j'étais encore moi.

Maintenant, c'est devenu un instant où je dis adieu à celle que je suis pour devenir la mère sans problèmes que le quartier connaît. Pour devenir une Eliana qui a fait son apparition sans avertissement mais qui est insignifiante.

Tout le monde perçoit le début de la journée comme un nouveau commencement. Un moyen d'oublier leurs actions de la veille et d'écrire sur une nouvelle page blanche. C'est une excuse pour se sentir libérée d'un poids - se dire que les actes n'ont aucune conséquences - parce qu'on reçoit toujours les effets, précipitamment ou pas.

Bonjour...

Je sors de cette contemplation lorsque j'entends sa voix fluette juste derrière moi. Elle est encore à moitié endormie, se frottant encore les yeux avec son ours en peluche favori sous son coude.

Déjà réveillée miss?

Elle hoche la tête et mon cœur reprend vie. Comme un feu d'artifice, Eliana explose à la surface et le vide disparaît.

Killing SpreeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant