Chapitre 1

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     « Salauds ! Fils de putes ! Espèces de Suiveurs ! Sales... sales... hommes... »

Planquée derrière l'enfilade de vide-ordures, Silice n'avait de cesse de ressasser le « truc » au coin de son crâne.

« Connards... 'culés... »

Elle se figea ; des feux filèrent. La jeune femme s'enfouit dans sa cachette ; sous les amas de déchets en provenance des étages supérieurs. Leurs façades autoroutes luisaient dans la pénombre ; cimeterres lubrifiés pointant les étoiles, des centaines d'étages plus haut.

Ils ne la virent pas. Leurs torches disparurent dans la nuit épaisse. Elle lâcha un soupir, proféra un juron en se glissant hors de sa planque, chassa les détritus - des fonds de conserves ; essuya les immondices - élixirs magiques de capotes crevées.

Ville basse. Deux heures du mat'. Qu'est-ce qu'une petite fleur comme elle pouvait bien foutre ici à une heure pareille ? La rage lui contractait le périnée.

Hier soir, la meilleure amie de Silice - Lilly - était parvenue, sous les regards lubriques de ses Suiveurs à s'insérer un mètre de gaine thermique dans le trou de balle.

Elle (Silice) en avait été toute la journée marron de jalousie.

À cette performance pour le moins étourdissante de sa sœurette d'Influenceuse étaient venues s'empiler les remarques gouailleuses de ses propres Suiveurs, et cela avait été la petite goutte de trop. Silice était envieuse. Ici-bas, quelle jeune femme ne l'aurait pas été ? Mais n'était pas une « anale-tomiste » qui voulait. Cela demandait du travail. Et beaucoup d'abnégation. « Rosebud » ou « Bouton de rose » pour les Suiveurs - Lilly Rose Deep pour les intimes, était une artiste parvenue à la pleine maîtrise de son art. La rumeur prétendait qu'elle travaillait déjà à son prochain Magnum Opus : franchir la barre vertigineuse des 1m10. Silice en avait la nausée ; c'était la taille de son neveu de sept ans, elle qui stagnait depuis des mois à 70 malheureux centimètres.

« Catin, pensa-t-elle. Vile catin !

Elle était furieuse bien entendu. Silice ne s'était jamais considérée comme une grande performeuse, mais elle estimait travailler suffisamment fort (et en tout cas bien assez dur) pour ne pas avoir à se farcir les plaintes de ses Suiveurs. Pour qui se prenaient-ils ces sombres connards ? Ces frustrés, ces rageux à petites bites, ces Suiveurs... ces sales... sales... sales... hommes ? C'était le mantra qui lui tournicotait dans le système ; l'unique morceau d'une playlist un peu navrante.

Mais il était maintenant deux heures du mat', créneau de sieste d'une majorité d'habitants de cette ville insomniaque et, derrière les murailles d'ordures, glissant sur le bitume huilé par leur lente agonie, Silice avait un plan. Un « truc » vraiment super qui lui permettrait d'occulter la stupéfiante performance de son amie - et lui gratter au passage quelques Suiveurs.

La jeune femme retint son souffle ; d'autres Insurgés détalèrent à contre-sens comme une nuée d'ombres conspiratrices. Silice se fondit dans le maillage complexe d'un écheveau de lignes à haute tension, femme araignée électrisée par sa tâche mais prenant son mal en patience ; son objectif n'était qu'à quelques pâtés d'immeubles et pour rien au monde elle aurait pris le risque de tout faire foirer à cause de ces connards de pédérastes en vadrouille ce soir.

Il régnait en fait depuis maintenant plusieurs semaines une vive agitation dans la Ville Basse. Silice, bien sûr, en avait à peine conscience. C'était après tout son pain quotidien. Quelle différence cela pouvait-il faire qu'il y ait un ou deux, ou trois mille de ces connards à traîner dans les rues leur haine des Influenceuses - sa caste ? Elle n'était après tout plus très loin d'être la meilleure version possible d'elle-même. Une femme accomplie, tenant fermement en main les rênes de sa destinée (et le manche de son business).

Bouton de RoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant