Chapitre 2

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     C'était maintenant le matin. La night s'était achevée sans trop d'encombres - tout au plus cinq ou six macchabs sur le plancher des vaches selon la Maison Mère. Silice traînassait au pieux, prêtant une oreille distraite à la rumeur des souffleuses. C'était le petit rituel du mercredi dans la ville basse ; les immenses pâles étaient mises en branle pour ventiler les montages d'immondices qui s'y étaient agrégées durant toute la semaine. Défense était alors faite de sortir et cela convenait bien à Silice. Une petite demi-heure supplémentaire de travail au pieux, à la manière de Proust dont elle n'avait jamais entendu parler. Elle était en grande palabre avec son anale-tomiste d'amie, Lilly Rose Deep qui se préparait pour son spectacle de 13 heure - lequel correspondait à la pause déj' de ses Suiveurs ; Rosebud s'affairait depuis maintenant quelques minutes, une poire à lavement dans une main, son cellulaire dans l'autre :

« C'ment k'sa s'est passé t'truc d'l'aut' soir au fait' »

Silice se rembrunit en pensant au livre, enjamba la table basse, chassa la chatte qui s'était lovée, et se saisit de l'ouvrage.

« J'peux rien faire c't'illisible, on dirait un de ces trucs d'aut'fois écrits dans une langue pleine de mots. Tu sais ; et cetera.

« Les anciens y savaient quoi y faire, z'avaient des trucs pour les lire, d'drôles d'appareils à sous-titrer, ça faisait l'boulot pour eux.

Et Silice se souvint avoir déjà vu sa grand-mère se servir effectivement d'un tel truc pour décoder certaines publications d'Influenceuses Hautistes, ces petites parvenues aux bouches pleines de sons et mots étranges tout tarabiscotés.

Elle se demanda si sa mère l'avait encore en sa possession, contempla l'idée de lui passer un coup de fil, finit par se mettre en quête d'une excuse pour lui rendre visite et qui sait, profiter d'un instant d'inattention pour fouiner dans ses placards et mettre le grappin dessus. Cette pensée réconfortante, chaude comme de l'azote fut mise en pause par Lilly :

« Awè, opina Lilly. O faite t'a vu la dernière publication de Nitsa Vanlith ? »

Elle mentit en affirmant qu'elle ne l'avait pas vu, se donnant ainsi l'air baroque et très sophistiqué d'une jeune femme ne sillonnant pas à longueur de temps les réseaux, ce que Lilly parut croire, pensant peut-être que cela devait expliquer son faible nombre de Suiveurs. L'Influence était après tout une affaire sérieuse, un travail qui demandait discipline, rigueur et constance. Elle se congratula sans doute d'en avoir un nombre à cinq chiffres, tandis que Silice - elle le savait - n'en avait qu'à quatre. (7683 pour être exact) Tout cela à cause de trente malheureux centimètres de moins.

Elles consacrèrent les minutes suivantes à commenter les dernières publications de leurs sœurettes d'Influenceuses, et c'est lorsque la conversation dévia sur la plus éminente d'entre elles – Medusa -, c'est là que Silice en vint à lui parler de cette étrange bonne femme en blanc qui l'avait approchée sur les réseaux quelques jours plus tôt. Elle lui avait laissé entendre qu'elle connaissait un moyen de La voir. Medusa. Mais il y avait une condition :

« T'sais pas qu'è m'dit comme quoi y va pouvoir m'dire un moyen de comment La voir, Med'sa : t'sais pas qu'è m'dit c'te gouinasse d'fille d'pute ? »

« Qu'est-ce qui t'a d'mandé d'faire, bich' ?

« J'tlaisse d'viner. 'Magine l'pire truc qu'tu sois cap' d'maginer et... euh, additionne-le. Deux fois. »

« Donc j'le multiplie au carré ? »

« Donc, tu l'multipies au carré. »

« T'ferais p'têtre mieux pas, bich'. Paraît qu'jai plein d'ima-gination moi, c'est qu'est-ce que mes Suiveurs disent en tout cas. Tous les 17000 et quèleque »

Bouton de RoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant