Dernier chapitre

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La représentation avait débuté à 22h et Lilly mourut à 22h33.

La progression sur les 120 premiers centimètres s'était pourtant déroulée sous les meilleurs auspices ; Rosebud avait senti la forme glisser en elle avec aisance. Mais une fois le cap fatidique franchi, et durant les quelques centimètres qui suivirent, elle avait brusquement senti une vive douleur, comme une lame la déchirant en deux. Il y avait eu un sinistre craquement et son trou de balle avait cédé d'un coup. Les Suiveurs qui avaient assisté à l'accident en direct sur les réseaux (et auraient pu être considérés comme des témoins), s'étaient empressés de déguerpir, leurs bites encore à demi-molles dans la main, tandis que certains, impuissants, l'avaient regardé se vider de son sang jusqu'à la dernière goutte. Les flics, qui ne débarquaient dans la Ville Basse que pour ce genre de cas extrême - un décès - n'avaient trouvé le corps que cinq jours après, quand certains voisins avaient remarqué une concentration anormale de chats autour de la maisonnette. Lilly détestait les animaux et il était de notoriété publique - bien que personne n'en eut jamais récolté la preuve - qu'elle avait empoisonné plusieurs d'entre eux à la mort au rat. Le corps avait été déjà presque entièrement rongé par ces charognes de matous quand les agents entrèrent. Une sorte de vengeance poétique... Le coroner avait pondu un rapport de cinq pages bardés de termes techniques et savants pour désigner en somme une chose bien triviale : une rupture de l'élastique anal.

Quand les flics l'avaient découverte, le corps de la jeune femme était recroquevillé sur un bout de gaine électrique ; ils en avaient extrait une cinquantaine de centimètres d'elle, en plus des soixante-quatorze autres que son anus avait déjà expulsé à cause du relâchement post-mortem. L'attention des enquêteurs s'était ensuite portée sur la boursouflure écarlatequi semblait avoir poussé de son rectum, sorte de bouton de rose planté là comme un œil béat soutenant leurs regards, et l'enquête n'était guère allée plus loin.

L'un des premiers agents sur place - qui était en secret l'un de ses Suiveurs (et qui, de manière encore plus confidentielle, avait assisté dans l'anonymat des réseaux à la prestation en live) n'avait pu retenir, secoué par l'émotion, ses regrets qu'une « si belle fille soit fauchée ainsi dans la fleur de l'âge » (en d'autres termes que ceux-ci).

Mais il est vrai que Lilly avait été très belle.

Silice avait étudié le replay maintes et maintes fois. Elle lui devait bien cela. Son amie.

Il n'avait presque rien manqué à Lilly : un malheureux centimètre pour tutoyer les étoiles. Les portes de la grandeur s'étaient ouvertes un bref instant... puis refermées tout aussi sec, matérialisé par un sinistre claquement d'organe protractile tirant sa révérence.

Le diagnostic de Silice avait été un mauvais échauffement.

Backstage, où durant la quinzaine de minutes précédant la performance et qu'elle consacrait en général à répondre aux questions de ses Suiveurs, Lilly ne s'était pas préparée avec assez de sérieux. Elle avait beaucoup ri à leurs blagues, leurs petites attentions, ce qui n'était pas habituelle et dénotait - selon Silice toujours - une certaine tension. Elle la soupçonnait aussi, à cet air vague et vaporeux, d'avoir consommé du Mezcal pour se donner du courage. La rupture de l'élastique anal était un peu comme les ligaments croisés chez les sportifs : elle était souvent dû à une erreur bête. Pauvre Lilly.

Toujours est-il que son deuil passé, et quelques jours seulement après l'accident, Silice avait été surprise de recevoir un message de l'étrange femme en blanc. Elle réalisa que celle-ci avait dû percer à jour le subterfuge de la pallakès - Lilly jouant son rôle - sans quoi elle n'aurait pris la peine d'écrire à une morte. Elle songea que la bonne femme, malgré le mensonge, avait dû suffisamment apprécier la performance pour tenir sa promesse et accomplir sa part du marché.

Bouton de RoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant