Yoru

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    Ah, quel délice d'être si populaire. Avoir toutes les filles à ses pieds, être constamment adulé, presque comparé à Dieu lui-même. Les garçons en rêveraient chaque nuit.

Seulement, s'il ne pouvait n'y avoir que ça...

Cette barrière invisible, ce don de tout voir, tout cela ne me laisse que plus seul.

Pourquoi suis-je si différent, pourquoi suis-je le seul à voir ces formes reflétant l'âme humaine ?

C'est un fardeau que d'être différent.

    Dans ce monde mielleux et paisible, rien ne me plaît. Les sourires constants sur les visages des gens ne sont que des couteaux hypocrites, tous sont des pantins articulés manipulés par les inspecteurs. La découverte n'est pas une avancée, elle a au contraire enfoncé l'humain, lui rappelant à quel point il est misérable.

Né avec le tamachi de carton d'une idole, j'étais déjà erroné lors de mon premier cri. Seulement, le système des tamachis n'était pas infaillible, bien qu'il s'auto-proclamait comme tel. Je n'étais pas celui que mon tamachi reflétait.

Arrivé à l'école primaire, mon calvaire commença. Je compris que je n'étais pas comme eux, et que je ne le serais jamais. Mes parents et leur amour dégoulinant, mes camarades étouffants, mes professeurs bienveillants, tout cela m'écœurait. Malheureusement, quand on naît avec le tamachi d'une idole, on le devient.

Tenue à la pointe de la mode, piercing à la langue, coupe impeccable, sourire éclatant, on m'avait transformé en idole. Quel effort de se déhancher et de chanter à peu près juste... J'étais le pantin de ce système, tout autant que le public. Un seul sourire ou clin d'oeil m'attirait les exclamations de la foule. Mes parents m'adoraient, j'étais leur fils unique et leur Dieu.

Du haut de mes 16 ans, j'enchaînais déjà concerts, soirées, qualifié de "prodige de la musique"... Tout cela n'était qu'une mascarade de mauvais goût.

Je suis étouffé par cette image censée représenter mon âme.

Je suis une erreur.

Je ne supportais plus tout ça, je voulais fuir au plus vite.

Un soir, je décidai d'en parler à ma mère. Elle qui me prenait pour semi-Dieu avait une  vocation de bas-étage, c'était donc un cadeau du destin d'avoir comme fils une idole, à ses yeux. Je n'étais proche de personne, mais ma mère restait ma génitrice. Bien que je ne la supportais pas, c'était celle qui en qui j'avais le plus de confiance.

Une fois le souper passé, jour de repos pour moi, je rejoignais ma mère dans le séjour. Inquiet de sa réaction, je m'enveloppais alors d'une façade impassible pour qu'elle ne se doute pas de quelque chose.

- "Maman ? Aurais-tu une minute ?" entamais-je prudemment et poliment.

Elle se tourna vers moi,  et me répondit d'un grand sourire :

- "Yoru ? Oui bien sûr, qui-a-t-il mon chéri ?"

Ce sourire dégoulinant faisait partie de mon quotidien, et il me répugnait de plus en plus chaque jour. Je pris alors un ton très sérieux, pour qu'elle ne prenne pas mes paroles pour des délires d'adolescent.

- "Je veux m'enfuir d'ici."

- "Quoi ? Ne dit pas n'importe quoi Yoru, ce n'est pas très amusant mon chéri." dit-elle en gardant ce sourire gravé dans la peau.

Ses "mon chéri" incessants, je n'en pouvais plus. Ma vie n'était qu'une longue rengaine ennuyeuse et sans intérêt.

- "Maman, je ne rigole pas. J'ai tout prévu, je m'enfuirais tard dans la nuit. Je voulais que tu sois en courant pour... pour que je puisse te dire au revoir." déclarai-je solennellement

TamachiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant