Lors du passage de ce train, je n'avais plus aucun objectif si ce n'est survivre, et ce quel que soit le moyen. L'angoisse me noue le ventre et semble vouloir m'achever pour m'emmener dans les limbes que je n'ai déjà que trop fréquenté.
Sans me poser plus de questions sur mon avenir plus qu'incertain, me voilà assise dans ce wagon dont je suis la seule passagère : ce monde n'existe que pour me faire souffrir.
Les fenêtres sont petites et sales, rien n'est distinguable par elles et ce n'est pas la luminosité digne d'une cave qui va m'aider à voir mon chemin.
Pour passer la première étape, il me faut vaincre la peur : cet ennemi invisible qui me poursuit sans relâche depuis ma naissance. Cette première des infamies a comme seul but la destruction. La perfection de la Magnificence n'est pas apte à être tachée par celle-ci. Je ne souhaite que m'en libérer pour approcher mon objectif : j'ai envie de survivre. Je vais rester assise ici jusqu'au terminus : l'endroit aura changé et pourtant les apparences seront les mêmes, comme si je n'avais pas bougé d'un pouce.
Dans la peur, tout est souterrain, la luminosité est faible et tout ressemble à un vieux métro parisien dont les murs sont de pierres, pleins de saletés et en ruines. Pour en sortir, je vais devoir m'armer de courage car mes pires craintes vont être exposées au grand jour en plus de se réaliser. Je vais littéralement les voir prendre vie devant moi. Et si c'est elle qui apparait ? Tout n'est que métaphore avant que celles-ci ne deviennent réelles et te sautent à la gorge pour t'étrangler.
Je ne sais pas depuis combien de temps le train avance, ni même s'il avance réellement : dans la peur tout est possible au même titre que tout n'est qu'illusion. Je me suis souvent dis que tout ça n'avait aucun sens. Après tout, nous sommes des poussières évoluant sur un rocher gravitant dans l'espace.
Sans aucune forme de logique : n'en déplaise aux scientifiques. Rien qu'à penser, j'ai visiblement oublié où j'étais et le train semble être arrêté depuis plusieurs secondes.« Nous avons atteint le terminus, veuillez quitter le train et vous enfouir dans la peur jusqu'au prochain passage. »
Sans plus attendre, je me précipite dehors, laissant claquer mes sandales contre le métal chaud. Le terminus est comme je l'avais prédit, égal au départ. Après tout, dans la peur, rien de change jamais, nous y sommes enfermés, point.
Face à moi, il y a Carden. Il attend patiemment que je pose mon pied par terre et m'enfouisse dans les limbes. Cet homme est certainement mon pire cauchemar et ce foutu endroit à visiblement décidé de commencer fort. Est-il la première étape ou mon seul adversaire ? Je prends mon temps, je respire, je me masse le ventre, je ferme même les yeux.
Après tout, je suis seule avec mes démons ici, autant me maitriser avant d'y faire face. J'ai envie de le regarder, cet être humain n'a pas toujours été un cauchemar pour moi, après tout, il a d'abord été mon frère. Ses cheveux noirs lui tombent en larges boucles sur les épaules, comme à ses sept ans, quand tout a commencé. Sa taille me semble être celle qu'il a aujourd'hui à vingt-cinq ans, autour d'un mètre quatre-vingt.
Il a cependant le visage vicieux et mauvais de ses quinze ans, lorsque nous étions encore à l'orphelinat.
Sans me contrôler, je laisse mes yeux s'accrocher aux siens. Son regard, je le déteste tellement. Ce frère aimant durant mes premières années, qui a commencé très tôt à dévorer mon âme, à la frapper, la découper, la déchirer, l'aspirer...Ce compagnon de jeu que je me suis surprise à voir dans mes mauvais rêves, jusqu'à ce que petit à petit, ces mauvais rêves deviennent mes jours, mes mois, mes années. Cette couleur azur, je la hais, je la vomis. Je ne suis toujours pas descendue du train mais je commence à avoir ce qui me semble le meilleur sentiment pour vaincre cette angoisse.
Cette émotion que je ne connais que trop bien sans jamais la laisser exploser. La colère est bien trop faible contre la peur. Cependant, en revoyant ce monstre... La haine... La rage. Cet être infame a tout réussi, ses études, sa vie amoureuse ; mais tout n'est que mensonge ! Il est ce que l'être humain a fait de plus horrible, il est de ceux qui détruisent les autres, même sa propre sœur, pour des désirs pervers et sales.
Armée de ma rage qui m'empêche de m'effondrer, je me précipite vers Carden. Cet homme que je ne considère plus comme mon frère me sourit, d'un sourire tel qu'il m'en aurait fait avant mes cinq ans, mais son regard le trahi et il ne m'émeut pas.
Je le prends à la gorge sans qu'il n'ait esquissé le moindre mouvement et le voilà qui malgré son manque d'air, prononce à demi-mot la phrase qui m'a hanté, me hante et me hantera certainement toute ma vie.
« Bonjour, petit monstre. »
Ma prise se desserre sans que je ne puisse le contrôler, je le sens, je ressens chacun de mes doigts lâcher prise à l'instant même où je sens les larmes couler sur mes joues en cascade.
« Eh bien, tu ne dis pas bonjour à ton grand-frère ? Sais-tu ce qui va t'arriver si tu commences à me désobéir ? »
Cette voix rocailleuse, d'outre-tombe, me file toujours autant de frissons. Je dois me concentrer pour ne pas chuter, je me l'étais juré, je ne tomberai plus à genoux devant lui, pour elle.
« Que penses-tu faire en maintenant tes pattes près de mon cou ? Je pensais t'avoir expliqué où est ta place. »
Déshumanisée... Non ! Il faut que je me reprenne, ce n'est pas vraiment Carden. C'est une simple reproduction que m'a offert la peur.
Une occasion en or de se venger et de guérir sans que mon meurtre ne m'amène vers la prison dans le vaste monde.
Je dois me recentrer, n'entendre plus rien si ce n'est mes mouvements, ne voir que ses points faibles et ne maintenir ma force que pour attaquer ses points vitaux.
1,2,3,4,5,6... Sauter dans le vide. Je me lance et me recule brusquement, m'éloignant de lui. J'évite son regard, il me ferait replonger aussi tôt dans sa folie. Trois pas de côtés, comme aux entrainements de self défense que j'ai pris à son départ de l'orphelinat. Un pas en avant pour que ma jambe puisse l'atteindre. Un pas en arrière pour que mon pied gauche se mette en position d'appui. Mon frère parle, mais je ne l'entends, je ne l'écoute plus, je devine le mouvement de ses lèvres du coin de l'œil. Il doit me traiter d'incapable, me demander de revenir à la raison, de ne pas laisser mon démon intérieur gâcher tout ce qu'il a fait pour moi.
Tant pis, je ne l'écouterai plus jamais. Je sers les poings et teste mon appui, Carden ne semble pas décidé à se défendre, son estime de moi est bien trop faible pour qu'il voit en ma personne une menace potentielle.
Il cligne des yeux, je le devine sans les voir, c'est logique : un humain cligne des yeux en moyenne vingt fois par minute. Je lève ma jambe, la tend en arrière, et vise son poitrail. Je ferme les yeux pour mieux ressentir mon environnement, ma robe ne me dérange pas pour me battre, ce qui est étonnant, mais après tout je suis dans la peur.
Un bruit de chute vient à mes oreilles peu après que mon pied n'ait effleuré le tissu du haut de mon ennemi. Je souffle profondément et réouvre les paupières.
Pas de corps par terre, mais pas de corps debout non plus. En fait, il n'y a pas de Carden en vue. Va-t-il réapparaître ? Je l'ai à peine effleuré...
« Sujet Eirlys, vous avez vaincu votre plus grande peur, veuillez quitter notre majestueuse infamie en rejoignant le train derrière vous. Restez silencieuse afin de ne pas déranger les âmes perdues autour de vous. »
Inconsciemment, j'avais pensé avoir réussi la première épreuve.
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La Magnificence - Tome 1 (terminé)
FantasyEirlys veut la retrouver. C'est son unique raison de vivre depuis ses sept ans. Pour ce faire, elle doit traverser des épreuves, toutes plus douloureuses les unes que les autres afin d'entrer dans la Magnificence. Tout porte à croire qu'elle ne peut...