Chapitre 4 : L'Itinéraire

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Quand Rothaïde ouvrit les yeux ce matin-là, elle pria intérieurement de se trouver dans sa suite royale. Malheureusement, le bateau tanguant la ramena bien vite à la raison. Elle était seule, au milieu de ces mercenaires sans cœur, et personne ne pouvait la sauver.

La cherchait-on au château ? Mettait-on tout en place pour la retrouver ? C'était fort probable. L'assassinat de son frère ainé quelques années plus tôt l'avait projetée au statut d'héritière du royaume. Officiellement, elle était censée marcher dans les pas de son père et diriger Centule. Officieusement, elle était une femme et le clergé préférait grandement un homme pour porter la couronne.

Cela faisait bien des générations que la première héritière du trône n'avait pas été une femme, mais elle se doutait que les mœurs n'avaient pas changé à ce sujet. Avait-elle envie d'être Reine de toute façon ? Elle connaissait bien trop peu de choses à la politique, elle n'était honnêtement pas sûre d'en avoir les épaules. C'était son union qui déterminerait donc le futur Roi : une fois le mariage prononcé, elle devrait conduire son époux devant Dieu et mener la cérémonie de sacrement sous les yeux exigeants des serviteurs divins. Sa disparition était donc un drame pour le royaume : sans alliance, aucun homme n'étant pas déjà de sang royal ne pourrait prétendre au trône. Ainsi, la couronne reviendrait aux mains d'Airy, son lointain cousin, déjà souverain de Nekavland, un pays voisin de Centule.

Rothaïde n'était pas convaincue de l'importance de ne pas céder Centule à sa famille éloignée. Le royaume changerait de nom, les frontières s'effondreraient, mais à part cela ? Cela changerait-il beaucoup de choses ? N'ayant aucune vocation à gouverner, elle avait du mal à comprendre cet instinct possessif que ses prédécesseurs avaient eu avec le royaume. Elle savait en revanche que son promis, imposé par son père avant son décès, ne comptait pas laisser le pouvoir lui échapper aussi facilement et mettait probablement tout en œuvre pour la retrouver.

La veille, la princesse avait fini de lire chacun des poèmes présents dans sa cabine. On lui avait apporté le repas le soir, et Luslyne était venue changer son bandage. La princesse n'avait vu aucune amélioration mais la doctoresse avait eu l'air satisfaite. D'après elle, sa blessure n'était l'affaire que de quelques jours.

Ce matin-là, le même rituel se déroula : la médecin lui appliqua du baume, banda de nouveau sa cheville et lui apporta un nouveau plat de poissons. Rothaïde n'avait jamais été particulièrement friande des fruits de mer et autres aliments marins, ce qui était un comble puisque Seinbur se trouvait sur les côtes. La qualité de son régime était cependant loin d'être sa première préoccupation depuis qu'elle était sur le navire, alors elle mangea sans rien dire.

Un peu avant l'heure du déjeuner, Attala vint lui annoncer que Bernon la réclamait. Elle la guida jusqu'à la cabine du capitaine et ouvrit la porte. Elle incita la princesse à y rentrer et dit :

- Bernon va arriver.

Puis elle ferma la porte derrière Rothaïde, laissant cette dernière seule.

Le capitaine possédait des appartements plus luxueux que les logements qu'on lui avait attribués, ce qui n'était pas étonnant en soi. Il avait une petite fenêtre sur la paroi gauche de la pièce, offrant un rayon lumineux sur le centre de la pièce. Le lit était double et encadré de deux grandes bibliothèques remplies. Le capitaine aimait-il la lecture ? C'était peu probable, il avait sûrement amassé bon nombre de livres lors de ses pillages et avaient décidé qu'ils feraient de bons objets de décoration. Une table ronde entourée de deux chaises était disposée sur un tapis, un peu trop à gauche pour être centrée dans la pièce. Devant celle-ci, contre le mur, se trouvait un petit bureau sur lequel une ribambelle de documents gisaient. Enfin, un tonneau de bain se trouvait dans le coin droit, presqu'entièrement caché par un paravent. La noble se doutait qu'aucun autre pirate de l'équipage n'avait droit à un bain personnel dans leur cabine. D'ailleurs, malgré la taille imposante du bateau, ils n'avaient probablement pas de cabine individuelle.

Hors la loi et bientôt ReineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant