Chapitre 10 : L'Orage

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Au loin, Rothaïde observait le coucher de soleil. Elle pensa qu'il n'aurait pu être plus beau, puis elle se rappela qu'elle pensait la même chose tous les soirs depuis un mois. Les discussions et les rires fusaient à ses côtés, il y avait toujours des habitants d'Arton sur la plage pour observer le spectacle. La princesse comprenait pourquoi Bernon était amoureux de cette ville, tout y était si charmant et accueillant. Elle aurait aimé vivre là pour toujours.

Encore une fois, son esprit la frappa de questions auxquelles elle avait déjà la réponse. Pouvait-elle décemment apprécier cette vie ? Pensait-elle réellement être faite pour une vie de hors la loi ? Quand assumerait-elle enfin son rôle de future Reine de Centule ? Mais elle secoua la tête pour effacer ces pensées désagréables. Elle ne voulait pas y songer.

- Demain, nous partons à Taniia, annonça soudainement Bernon en profitant que tout l'équipage soit réuni. Nous sommes ici depuis un mois, la saison de semis va bientôt commencer, il est plus que temps que nous allions les approvisionner.

- Nous y dormons ? demanda Sifard.

- Oui, une nuit.

Le capitaine regarda ensuite Rothaïde.

- Tu n'es pas obligée de venir, tu peux rester ici.

- J'aimerais venir, répondit-elle sans hésitation.

Elle n'avait jamais visité Taniia, elle voulait tout découvrir avec les pirates.

- Très bien. Nous partons à l'aube.

Le lendemain matin, Rothaïde fut réveillée par Eudoxie. Elle la secoua avec tendresse en murmurant son nouveau nom. Et quand enfin la brune daigna ouvrir un œil, l'enfant lui sourit et lui dit :

- C'est l'heure de partir en mer.

La brune hocha distraitement la tête et se redressa. Cette nuit, elle avait dormi à la belle étoile aux côtés des pirates. Elle n'avait jamais fait cela avant son changement brutal de vie, mais depuis qu'elle était à Arton, elle adorait le ciel nocturne. L'ancienne princesse remarqua qu'autour d'elle les hors la loi s'apprêtaient à embarquer sur les chaloupes. Elle se leva donc et plia sa couverture proprement. Quelques minutes plus tard, l'ancre était levée et le grand navire partait en direction de Taniia.

Seulement, alors que le voyage n'était censé duré qu'une demi-journée, l'explosion d'un orage qu'aucun pirate n'avait pu anticiper éclata. Une intempérie s'effondra sur le pont principal tandis que les renégats tentaient tant bien que mal de garder le cap.

Rothaïde tentait de survivre à cet intempérie : l'orage la terrifiant tellement qu'elle explosait en sanglot au moindre coup de tonnerre. Elle ne connaissait pas les réels risques d'un tel bouleversement météorologique, mais sa conscience lui hurlait que ses heures étaient comptées. Recroquevillée sur elle-même dans sa cabine, elle tentait de boucher ses oreilles avec ses doigts. Mais rien n'y faisait, le hurlement du tonnerre la hantait toujours.

Soudain, la trappe s'ouvrit. Elle aperçut à peine Bernon descendre les marches tant elle fronçait les sourcils pour se contenir de hurler de peur. Mais elle le sentit quand il déposa tendrement ses mains sur ses épaules.

- Rose ? l'appela-t-il. Tu as peur ?

La jeune femme murmura un faible oui. Elle avait un peu honte de lui dire cela. Il était un pirate, il avait dû traverser bien pire.

- L'orage n'est pas directement sur le navire, la foudre ne risque pas de nous tomber dessus. La mer est juste agitée et ça nous retarde.

Rothaïde savait qu'il tentait de la rassurer mais c'était un geste vain, elle n'était plus capable de raisonner. Le capitaine le comprit puisqu'il lui attrapa le bras et la dirigea vers la trappe. La fausse servante eût alors un mouvement de recul mais il la rassura immédiatement :

- Je t'emmène dans ma cabine, tu y seras mieux.

Même si l'idée de sortir en dehors de son abris le temps d'en rejoindre un autre la terrifiait, elle décida de s'accrocher à Bernon et de lui confier ce qui lui semblait être sa vie. Le pirate sourit tendrement et la dirigea avec précaution jusqu'à ses appartements. En réalité, les deux cabines n'étaient pas loin l'une de l'autre et Rothaïde fut assise sur le lit du capitaine plus vite qu'elle ne le pensait.

- Ça va mieux ?

La brune nia de la tête. Le tonnerre tapait toujours autant que le bateau tanguait. Elle entendait les commandements de Sifard, en remplacement de Bernon, à travers la paroi, ce qui ne l'aidait pas à se calmer.

Bernon vint donc s'asseoir à ses côtés, et posa sa main sur sa longue chevelure. Il resta un instant immobile, puis se décida enfin à caresser lentement le dos de la jeune femme. Celle-ci focalisa toute son attention sur ce contact, aussi agréable que surprenant. Peu à peu, elle oublia qu'elle était perdue au milieu de la mer sur un bateau qui semblait pouvoir couler à tout moment. Elle osa même fermer les yeux quelques secondes. Elle ne savait pas si le capitaine à ses côtés avait conscience qu'elle se délectait grandement de ses tendresses, mais elle ne voulait pas rougir d'une telle pensée alors elle la chassa bien vite de sa tête.

Bernon resta attentionné de longues minutes. Puis il la coucha avec une telle douceur qu'elle se sentit à peine basculer.

- Je te laisse, murmura le jeune homme, je dois commander l'équipage.

Rothaïde ne répondit pas, elle se sentait apaisée et ne voulait risquer de briser cette bulle de sécurité. Elle entendit à peine le renégat sortir de la cabine. Elle se sentait prête à s'assoupir dans le lit du capitaine.

De nouvelles pensées distrayantes mais embarrassantes vinrent alors envahir son esprit. Était-elle la première femme à dormir ici ? La première femme à avoir pu bénéficier d'une telle bienveillance de la part de son capitaine ? Cela semblait peu probable. Pourtant, elle était convaincue d'être privilégiée. Elle ne savait pourquoi, mais son cœur le lui hurlait. Mais alors pourquoi ? Pourquoi elle et non une autre ? Pourquoi appréciait-elle cela plus que de raison ? Pourquoi Bernon devenait peu à peu une raison supplémentaire de ne pas retourner à Seinbur ?

Hors la loi et bientôt ReineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant