Chapitre 17 : Le Sang Divin

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Rothaïde était encore une enfant quand son père était tombé malade. Son frère n'avait pas tardé à prendre à cœur son rôle d'héritier, même s'il était encore bien jeune. Il n'avait cependant pas pu empêcher le roi d'arranger un mariage entre sa petite sœur et le Comte de Foulque, quelques jours seulement avant sa mort.

Après cela, les conseillers qui avaient pris en main la gouvernance de Centule suite au décès royal avaient laissé de plus en plus de liberté au fils ainé. Durant ces années de jeunesse consacrées à son royaume, Ageran avait envoyé des lettres partout dans le pays pour informer les habitants de son envie de changer les choses. Durant ces années également, Rothaïde avait demandé à son frère d'annuler son mariage. Mais l'autorité du souverain, même décédé, était plus forte que tout. Alors Ageran lui avait promis de le faire quand il recevrait la couronne. Sauf que quelques mois plus tard, lors d'un bal comme les autres, le futur Roi de Centule avait été poignardé par ce que Rothaïde croyait être un simple villageois. Désormais, face au journal de son frère qu'elle découvrait bien trop tard dans le bureau de son père, elle apprenait qu'il n'en était rien.

Le comte avait tout prévu depuis le début. Il avait manipulé le roi malade pour être fiancé à sa seule fille, et avait ensuite décidé de l'assassinat de l'héritier afin d'être le prochain à qui l'on promettrait la couronne. Ageran savait tout cela. Mais n'étant pas encore sur le trône, il lui avait été bien impossible de faire entendre aux conseillers qu'il fallait le protéger du Comte de Foulque. Cela lui avait causé la mort. Et Rothaïde, toujours promise au tueur de son frère, suivait désormais le même chemin.

Si seulement elle avait pris la peine de s'intéresser à la politique plus tôt ! Elle serait allée dans le bureau de son père et aurait pu lire le journal de son ainé bien avant d'être pressée par le temps pour survivre à son futur époux. Elle n'aurait pas eu à apprendre la vérité sur le décès d'Ageran dans la bouche de sa servante et de son garde. Elle aurait même pu changer les choses. Mais elle avait décidé que la royauté n'était pas pour elle, elle s'était confortée dans ses richesses, et aujourd'hui elle le regrettait.

Ageran avait tout dit dans son journal. Il avait toujours aimé écrire,bmais Rothaïde n'aurait jamais pensé que son frère rédigeait tous ses états d'âmes en tant qu'héritier royal. Il avait raconté que ses conseillers lui avaient appris la pauvreté que son père lui avait légué, comment la faim tuait de nombreux habitants de son Centule, combien il était urgent d'agir. Mais même si cette dernière avait les larmes aux yeux en découvrant la bonté de son ainé, elle était forcée de constater que rien dans ce journal ne la sortirait de sa propre situation.

Rothaïde se décida à parcourir les autres documents de la pièce après avoir terminé le journal de son frère. Elle chercha longtemps dans le bureau de l'ancien roi : les minutes devinrent des heures, qui devinrent des jours. Et ce ne fut qu'au troisième jour levée de soleil qu'elle tomba sur les informations qu'elle désirait.

La princesse savait depuis longtemps qu'elle ne pouvait devenir reine sans être mariée au comte. Même si elle avait pu trouver un moyen d'annuler le mariage, cela n'aurait servi à rien car elle n'aurait eu accès au trône et n'aurait pu s'assurer du sort de son royaume. Ageran n'aurait pas besoin d'une épouse pour gouverner, même s'il aurait dû donner des héritiers un jour ou l'autre. Mais elle, en tant que femme, ne pouvait décemment être proclamée reine par le clergé sans avoir un homme à ses côtés. Cependant, ce qu'elle apprenait désormais, était qu'elle avait peut-être une chance, une fois mariée et couronnée, de refuser de faire du comte un roi.

Le clergé était très conservateur quant à ses traditions. C'était d'ailleurs pour cela qu'elle était bien limitée par son genre. Mais les religieux faisaient aussi très attention à leur dirigeant : seule une personne de sang divin pouvait gouverner Centule. Rothaïde ne se pensait bien sûr pas divine, comme la plupart des habitants de son royaume. Mais les membres de la paroisse royale, et même probablement de toutes les paroisses centuliènes, gardaient en leur cœur cette croyance infondée. Lorsque le prochain roi était le fils du souverain, le sang divin était déjà dans ses veines. En revanche, lorsqu'un homme extérieur à la famille royale prétendait au trône, il lui fallait recevoir le sang de Dieu. Dans un rituel très stricte, l'héritière mélangeait donc son sang à celui de son nouvel époux, et ce après leur union.

Cela faisait bien longtemps qu'une femme n'avait pas été la directe héritière de la couronne. Et bien sûr, lorsque cela avait eu lieu, toutes les reines avaient sacré l'homme à leurs côtés. Cependant, Rothaïde pensait pouvoir refuser de mener à bout le rituel. Sans sang divin, le comte ne pourrait donc prétendre au trône. Elle, en revanche déjà couronnée reine lors de son mariage, possèderait officiellement l'autorité et pourrait ainsi gouvernée.

La princesse n'était pas sûre d'elle, mais il lui semblait avoir découvert sa seule option. Il lui faudrait pouvoir mener son plan en évitant les dangers que représentaient son futur époux. Pour l'heure, elle savait qu'elle ne risquait pas la mort : sans mariage, le Comte de Foulque ne pourrait jamais être roi. En revanche, une fois le mariage passé, elle savait que même morte, on prendrait son sang pour le transmettre à son époux et en faire ainsi un roi. Elle devait donc survivre au jour de son mariage, malgré la cérémonie longue et fastidieuse qu'elle ne pourrait éviter avant de refuser de sacrer son promis. Et pour cela, elle était seule.

Rothaïde prit soin de récupérer les documents qu'elle avait lu ce jour avant de quitter la pièce. Même si le comte n'avait pas le droit de rentrer dans le bureau du Roi, elle ne lui faisait pas confiance. Ses propres appartements n'étaient pas bien sûrs non plus, mais elle n'avait de meilleure idée. Comme lors des deux jours précédents, elle souffla de soulagement en passant le pas de sa porte sans avoir été vue. Son fiancé devait penser qu'elle s'était résignée à lui obéir et ne se méfiait pas de son silence. Après tout, il était habituel avant qu'elle ne soit enlevée par les pirates.

- Avez-vous pu trouver quelque chose aujourd'hui, Votre Altesse ? lui demanda sa servante qui changeait ses draps de soie.

Guéténoc et Syncir étaient devenus ses confidents. Rothaïde avait décidé de leur donner sa confiance et savait qu'elle avait fait le bon choix. Même s'ils n'approuvaient pas le fait qu'elle se mette autant en danger, ils attendaient un bébé et désiraient qu'il naisse dans un monde meilleur.

- Je crois bien.

La domestique, comprenant que la princesse n'ajouterait rien, demanda :

- Désirez-vous que je vous laisse seule ?

- S'il vous plait. Revenez pour mon repas ce soir.

La servante opina, termina d'agencer le lit, se dirigea devant la porte et affirma :

- Quoique vous demandiez, mon époux et moi-même vous offrirons toujours notre aide, Votre Altesse.

Puis elle quitta la chambre. Rothaïde se sentit immédiatement apaisée. Elle n'était pas totalement seule. La princesse s'assit à sa coiffeuse et entreprit de démêler ses longs cheveux bruns. Habituellement, Guéténoc se chargeait de cela, mais elle voulait prendre ce temps pour elle. Dans le contexte menaçant dans lequel elle vivait au château, elle tentait de s'accrocher aux plus simples détails.

Une fois décoiffée, la princesse se leva pour retirer son corset. Elle ne s'était jamais faite à l'inconfort de ses robes, et son séjour chez les pirates loin de tout instrument de torture ne l'avait pas aidé. Même si personne n'était censé la voir, elle avait cependant décidé de s'en vêtir pour aller dans le bureau de son père. Au cas où on la surprenait, il lui fallait paraître le plus naturel possible. Mais désormais seule dans ses appartements, rien ne justifiait qu'elle continue à souffrir. Elle entreprit donc de détacher les lacets de sa robe afin d'atteindre son corset.

Mais alors que le tissus tombait à ses pieds, elle perçut un courant d'air dans son dos et deux mains sur sa taille.

Hors la loi et bientôt ReineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant