Chapitre 15 : La Vie d'Héritière

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La nuit fut agitée pour Rothaïde. Elle se sentait désormais bien sotte d'avoir pensé pouvoir gouverner aux côtés de son époux. Si le comte lui refusait toute autorité royale, elle allait devoir trouver un moyen de l'écarter du pouvoir qui lui revenait de droit. Malheureusement, elle ne connaissait rien de la politique de Centule. Ses éducateurs s'étaient attelés à lui apprendre la géographie, la littérature et même les mathématiques, mais personne n'avait songé de lui enseigner les lois du royaume. Pourquoi en aurait-elle eu besoin après tout ? Elle était une femme. Une reine décorative. Mais elle savait où trouver les informations qu'elle cherchait : dans le bureau de son père. Le comte n'avait pas accès à cette pièce, n'étant pas encore roi. Elle, en revanche, avait toujours la clef que son frère lui avait donné sur son lit de mort. Elle l'avait gardée bien précieusement.

Au matin, Rothaïde se leva aux aurores. Avant de s'en aller parcourir les documents administratifs, politiques, stratégiques et légaux, elle se devait de se présenter à son peuple. Malgré les efforts du personnel du château, la rumeur de sa disparition avait été rapide. Fort heureusement, elle n'était pas arrivée aux oreilles des pirates lorsqu'elle vivait encore avec eux. Qu'aurait fait Bernon s'il avait appris son identité ? Rothaïde ne pouvait croire qu'il l'aurait martyrisée. En fait, elle était même sûre qu'il l'aurait aimée de la même façon, et cela ne faisait qu'augmenter son amour pour lui en retour. Ainsi, même si le peuple avait assisté à son retour miraculeux, elle souhaitait se montrer devant lui, lui montrer qu'elle était là et qu'elle assumerait enfin ses responsabilités.

De plus, elle serait bientôt reine, et il lui fallait affirmer sa présence. Habituellement, les mariages royaux s'organisaient quand la future reine avait seize ans. Seulement, l'anniversaire de Rothaïde avait été bien vite succédé de son enlèvement, et le projet marital avait dû être repoussé. Depuis son retour, personne n'avait parlé de sa future union à la jeune femme. Mais elle savait que, bientôt, elle devrait épouser le comte. Or, même si elle ne connaissait pas tous les rouages de la politique centuliène, elle savait que l'avis du peuple était primordial dans les décisions politiques. Du moins, le peuple que le château voulait bien regarder car Rothaïde savait désormais qu'il oubliait de nombreuses villes démunies. En se présentant aux habitants de Seinbur, elle faisait donc un premier coup d'échec face à son fiancé.

Rothaïde demanda à Guéténoc de la dresser de l'une de ses robes les plus charismatiques. Elle était bleu roi. Les manches s'arrêtaient en dessous de son coude et bouffaient sur une dizaine de centimètres. Des détails de dentelle fine et sombre décoraient le tout. Le bustier était orné de fils d'or et se sellait par un laçage de la même couleur. Le jupon était imposant et s'évasait au fur et à mesure qu'il parcourait les jambes de la princesse. L'avant était en soie, tandis qu'une cape de dentelle noire décorait le dos et les hanches. Avec cela, Rothaïde choisit de porter un collier maillons d'or, et de très simples boucles d'oreille qui encadreraient à merveille son visage. Elle avait pris l'habitude de vivre comme une pirate, mais elle devait désormais jouer le jeu des futilités de la noblesse.

Guéténoc l'aida également à se coiffer. Elle démêla la longue chevelure brune de la princesse et les redressa en un chignon détaillé et décoré de chaînes dorés. Rothaïde s'était rarement vu aussi sérieuse et imposante, mais elle devait faire fière allure pour pouvoir prétendre à la même autorité que son promis.

L'héritière royale souffla pour apaiser son angoisse. Le courage que toute cette mascarade lui demandait était immense. Elle devait s'opposer à celui que tout le monde considérait déjà comme le futur dirigeant de Centule alors qu'elle n'était elle-même pas sûre d'avoir les épaules pour guider son royaume. Elle savait que ses intentions étaient bonnes, qu'elle avait compris la réalité que vivait son peuple mieux que quiconque dans le château, mais cela faisait-il d'elle une reine pour autant ? Pourrait-elle gérer les richesses, les conflits, les intempéries jusqu'à sa mort ? Elle savait que sa place était sur son trône, elle ne regrettait pas d'avoir quitté l'amour, la liberté et le bonheur pour cela. Mais elle avait peur. Elle était terrifiée à l'idée d'être seule face à la noblesse pour le reste de sa vie. Elle était terrifiée à l'idée de commettre une erreur et de faillir à sa promesse de protéger les habitants de Centule. En fait, elle était terrifiée à l'idée d'avoir fait tant de sacrifices et de ne pas être à la hauteur.

- Cela vous plaît-il, Votre Altesse ? l'interrogea sa servante personnelle.

La princesse hocha la tête et se leva de son siège : elle allait voir son peuple.

Dès qu'elle fit ses premiers pas à l'extérieur de la cour royale, ses sujets l'accueillirent chaleureusement. L'avant-veille, ils l'avaient vu revenir fatiguée de son voyage. Désormais, elle se présentait dignement devant eux.

- Elle est si belle.

- Quelle prestance, elle est bien la fille de son père.

- Elle a repris des couleurs.

- Elle a dû être bien courageuse pour survivre lors de son enlèvement.

- Nous avons de la chance de l'avoir comme princesse.

Les murmures autour d'elle étaient nombreux. Les enfants l'applaudissaient, les parents s'inclinaient et lui souriaient. Mais personne n'osait pas lui parler directement. Quel blasphème de s'adresser à la future reine ! Pourtant, Rothaïde aurait beaucoup aimé échanger avec ses sujets. Elle aurait aimé leur parler comme elle parlait aux habitants d'Arton. Les éloges qu'elle percevait la touchaient malgré tout en plein cœur. Mais elle n'était pas sûre de les mériter. Après tout, elle n'avait jamais rien fait pour son royaume. Elle était née avec une cuillère d'argent dans la bouche, elle avait détesté ses responsabilités royales, et elle avait songé à les abandonner en vivant une vie de hors la loi.

Soudain, un petit garçon s'approcha d'elle. Il était habillé simplement mais avait bien meilleure mine que tous les enfants d'Arton et de Taniia. Seinbur ne connaissait pas la faim, la capitale était là pour valoriser le château. Les autres villes n'avaient pas cette chance. L'enfant tendit une pomme rouge à la princesse. Elle brillait de mille feux, preuve qu'il l'avait astiquée avant de le lui offrir. Rothaïde dû épier un instant son interlocuteur avant de le reconnaître : il s'agissait du bambin qu'elle avait pensé sauver lors de l'attaque des pirates. Le garçon souhaitait la remercier avec son présent, et sa gentillesse toucha Rothaïde si profondément qu'elle s'agenouilla à son niveau pour attraper le fruit. Elle savait aujourd'hui que Bernon n'avait jamais eu l'intention de blesser l'enfant, il s'était trouvé au mauvais endroit au mauvais moment et le capitaine se serait détesté s'il l'avait heurté. Dans tous les cas, elle était heureuse de rencontrer un enfant si jeune et pourtant déjà si reconnaissant et humain.

- Je te remercie, dit-elle.

Elle souhaita lui demander son prénom mais la voix d'une femme l'interrompit :

- Reviens ici !

Rothaïde se releva, chercha la femme des yeux et la reconnut vaguement : il s'agissait de la mère du rescapé de l'attaque. La princesse s'inclina devant elle avec respect.

- Ne vous en faites pas, votre enfant ne m'importune pas.

Elle regarda de nouveau le petit garçon et le trouva souriant. Il était une bouffée d'air frais dans son quotidien oppressant de ces derniers jours. L'héritière de la couronne ne put cependant pas profiter de son doux visage bien longtemps puisqu'il partit se réfugier dans les jupons de sa mère. Rothaïde était heureuse qu'il ait pris sur lui pour venir la remercier, cela signifiait beaucoup pour elle.

Elle passa près d'une heure à discuter avec les sujets qui, peu à peu, osaient davantage lui adresser la parole. Les gardes prenaient leurs précautions pour qu'ils ne s'approchent pas trop, mais la princesse était aimée à Centule, elle ne craignait pas grand-chose. En réalité, la seule menace qui planait au-dessus de sa tête était son fiancé. Mais face à lui, personne ne pensait assurer la sécurité de la jeune femme : Rothaïde devrait apprendre à se protéger elle-même.

Hors la loi et bientôt ReineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant