Hors la loi et bientôt Reine

Chapitre 5 : La Ville de Carvhill

Le repas de la veille avait été bien loin d'être aussi intolérable que Rothaïde l'avait imaginé. Elle s'était attendue à un vocabulaire bourru, des discussions peu profondes voire irrespectueuses. Mais en réalité, Bernon savait très bien s'exprimer. Il lui avait principalement parlé de lecture. A sa plus grande surprise, le capitaine avait réellement lu tous les livres de sa bibliothèque. La future reine avait répondu le plus succinctement possible à toutes les questions du jeune homme : elle était terrifiée à l'idée de dévoiler une information qui révélerait sa véritable identité.

Le reste de la journée s'était déroulé dans un calme étonnant. La vie de renégats étaient bien différentes de ce à quoi Rothaïde s'attendait. En dehors de la gestion et de la conduite du bateau, les pirates riaient, discutaient, mangeaient chaleureusement. Eudoxie et Armad jouaient et n'étaient pas flagellés de responsabilités qu'ils n'auraient dû endurer à leur âge. Elle aurait presque pu oublier la monstruosité avec laquelle l'équipage avait attaqué la capitale de Centule deux jours auparavant.

- On lève l'ancre ! hurla Eddo.

Même si le pirate imposant la terrifiait toujours, Rothaïde avait été surprise de la gentillesse avec laquelle il traitait ses camarades et sa femme, Attala. Dans l'après-midi, Luslyne, la doctoresse du navire, lui avait révélée qu'Eddo et Attala étaient tous deux originaires d'Eldoria, une ville au nord du Royaume de Centule. Leurs parents étaient voisins et vivaient d'ailleurs toujours là-bas. Luslyne ne savait quand le couple avait commencé de se fréquenter, mais elle avait révélé à la princesse qu'il s'était marié au plus jeune âge possible : seize ans. Bernon les avait recrutés quelques mois après leur union, il y avait de cela trois ans. Désormais, alors qu'ils n'avaient pas encore vingt-ans, Attala et Eddo songeaient de plus en plus sérieusement à fonder une famille.

A part eux, il existait un autre couple sur le bateau : Gausle et Sifard, que Rothaïde n'avait pas encore eu l'occasion de rencontrer. Là encore, Luslyne avait été ravie de parler de leur amour. A l'origine, l'équipage n'était composé que de Bernon et Sifard. Les deux individus se connaissaient depuis leur tendre enfance et avait eu l'idée de vivre une vie de piraterie ensemble. Peu à peu, ils s'étaient mis à recruter du monde, à acheter un bateau plus grand. Un jour, alors qu'ils se ravitaillaient sur l'une des huit îles de Dalethria, Sifard avait fait la rencontre de Gausle. De ce que Luslyne avait révélé à Rothaïde, le coup de foudre avait été immédiat : deux semaines après leur rencontre seulement, et alors que Sifard devait repartir en mer, ils s'étaient mariés. Ils avaient alors passé leur première année de mariage à distance, aux deux extrémités du royaume. L'an suivant, Luslyne passait enfin son diplôme de doctoresse, défiant toutes les réticences liées à son sexe. L'avenir de sa petite sœur assuré, Gausle décida de tout quitter pour vivre avec son époux. Et finalement, Luslyne décida que cette vie lui plaisait aussi et qu'un équipage de pirate aurait bien besoin d'un médecin.

La façon avec laquelle la jeune femme avait raconté ces histoires était remplie d'humanité. Rothaïde n'avait pas voulu briser les étincelles dans les yeux de celle qui l'avait soignée en lui rappelant que la vie qu'ils avaient tous choisie était une vie de barbares, bien loin de ce que Dieu avait prévu pour des jeunes mariés. Malgré tout, elle devait admettre avoir été touchée par les récits d'amour. Finalement, même dans les milieux les plus sanguinaires, la vie n'était pas bien différente de celle que vivait les habitants de Seinbur. Ladite Rose n'avait pas encore eu la chance de sentir son ventre se retourner à la simple vue de quelqu'un. Elle ne l'aurait probablement jamais d'ailleurs : les mariages d'amour n'étaient pas de mise dans la vie des héritières.

Le bateau secoua et la princesse dû se tenir plus fermement au rebord du pont principal. Elle n'avait pas passé beaucoup de temps dans sa cabine depuis son réveil. Même si elle n'était toujours pas à l'aise entourée de ses geôliers, elle ne se sentait plus aussi menacée. Et n'ayant jamais eu le loisir de naviguer en mer, elle avait voulu voir ce voyage de ses propres yeux. Elle avait beau être ici en tant que prisonnière, elle ne pouvait nier que l'étendue bleue autour d'elle faisait briller son cœur. Etendue bleue qui était dorénavant ponctuée d'une petite tâche à l'horizon : Carvhill.