Chapitre 13 : Les Sentiments Meurtriers

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Le hurlement qui déchira la chambre de Bernon éveilla tous les pirates de l'auberge. Sifard fut le premier à arriver sur les lieux, il découvrit son capitaine dans une rage hystérique. Le bureau était renversé, les papiers étalés au sol à l'exception d'une page qu'il froissait dans sa main.

Le brun tenta de parler à son ami, mais la colère noire dans laquelle ce dernier était le rendait incapable de toute conversation. Bernon renversa la bibliothèque de la pièce et Sifard décida de faire la seule chose qu'il pouvait faire en cet instant : il prit le blond dans ses bras. Au début, le hors la loi se débattit, mais son ami le serra avec une telle force qu'il finit par s'apaiser peu à peu. Il se sentait protégé de la peine qu'on lui faisait subir.

Dans l'encadrement de la porte, les autres renégats découvrirent la scène. Bernon tentait de retrouver son souffle, contenu dans l'étreinte rassurante de son fidèle camarade. Sifard, lui, attendait que son ami recouvre ses esprits pour parler. Gausle s'avança finalement et s'approcha du capitaine dont le visage semblait souffrir le martyr. Elle remarqua à son tour la feuille dans ses mains, et demanda à la lire. Le blond ne se débattit même pas : il laissa échapper le papier à l'origine de toute sa souffrance et s'effondra au sol, vide de force.

Gausle commença à parcourir la lettre des yeux. Elle découvrit le départ de celle qu'elle pensait s'appeler Rose, sa véritable identité, et la déclaration d'amour qui avait fini de briser son capitaine. Elle tendit la feuille à Sifard qui libéra l'une de ses mains pour parcourir à son tour l'encre noire. Les autres membres de l'équipage s'avancèrent pour lire par-dessus l'épaule de l'époux.

Des larmes commencèrent à couler sur le visage de Bernon, et bientôt des sanglots incontrôlables l'empêchèrent de respirer. Gausle enlaça de nouveau l'homme au cœur meurtris, le balançant comme une mère aurait rassurer son enfant. Bernon ne comprenait pas. Il avait la sensation que son monde s'effondrait. Rose... Rothaïde lui avait mentit. Elle était la princesse qu'il pensait avoir laissé échapper. Elle était la femme qu'il aimait et elle l'avait quitté. Comment avait-elle pu faire cela ? Et comment avait-elle pu s'autoriser à écrire de tels mots ? Elle lui déclarait un amour si fort alors qu'elle partait et ne le reverrait jamais. Que devait-il faire désormais ? Devait-il continuer de l'aimer comme il l'avait fait si vite après leur rencontre ? Devait-il la haïr pour son départ ? Et comment faire la part des choses entre ce qui était vrai dans leur histoire, et le mensonge omniprésent ?

Alors que Gausle le comblait de mots doux, le capitaine sentait son cœur se déchirer en mille morceaux. Avait-il déjà eu aussi mal ? Au décès de sa sœur, peut-être, mais il n'en était pas sûr. Alors que l'injustice dont avait été victime Broisine avait éveillé en lui envie de justice immense, il avait désormais la sensation qu'il ne pourrait jamais se relever du mal que lui causait Rose. Pourquoi ? Pourquoi souffrait-il tant de son départ, de ses mensonges, de leur relation qui ne pourrait jamais être ? Ou peut-être souffrait-il car elle lui avouait ne jamais pouvoir être aussi heureuse qu'elle l'avait été à ses côtés. Alors pourquoi partait-elle ? Pourquoi n'avait-elle pu rester à ses côtés, vivre cette vie dont elle avait parlé dans sa lettre ? Pourquoi n'avait-elle pu l'aimer assez ?

- Rentrons à Arton, décida Sifard.

Bernon était bien incapable de diriger son équipage. Il était secoué de spasmes, son cœur lui hurlait qu'il n'avait pas donné assez à Rose, et son esprit la haïssait pour toutes ses trahisons. Il se rendit à peine compte du trajet de retour. La mer fut calme, et il se trouvait dans un état second. Il pleurait parfois, sans même réellement sans rendre compte. Le reste du temps, il se sentait vide, mort à l'intérieur. Il n'aurait jamais pensé qu'une femme pourrait le blesser à ce point.

Mais Rose était différente.

Il l'avait tout de suite vu. Quand il lui avait parlée pour la première fois, elle l'avait regardé avec ses grands yeux bruns et il avait tout de suite compris qu'elle n'était pas comme les autres. Pas pour lui du moins. Il avait commencé à rêver d'elle, à vouloir lui parler encore et encore, à aimer la regarder. Elle avait mis longtemps à s'ouvrir à lui, si tant était qu'elle l'ait fait un jour. Elle avait même eu peur de lui, au début. Mais au fur et à mesure, elle avait commencé à lui sourire, à apprécier sa compagnie, et même à rire à ses côtés. Il avait aimé la présenter à sa famille de cœur, même s'ils n'étaient encore rien l'un pour l'autre. Mais désormais, juste après avoir eu l'espoir d'être aimé en retour, il rentrait chez lui, sans elle. Et elle ne lui reviendrait jamais.

Les jours qui suivirent le départ de la jeune femme furent difficiles. Bernon ne quitta pas sa chambre, il se nourrissait à peine. Les autres membres de l'équipage ne le comprenait pas : ils lui disaient tantôt que Rose n'avait eu d'autres choix que de mentir, et tantôt qu'elle ne le méritait pas. Mais au final, le capitaine se fichait bien d'avoir été trompé sur son identité royale. Ce qu'il regrettait était leur avenir, leur futur ensemble. Tout cela n'avait pas commencé, mais il s'y était projeté. Il s'était vu épouser cette jeune femme qui avait saisi son cœur au premier regard. Il s'était vu l'embrasser sur la plage. Il s'était vu l'amener à l'arbre où il avait déposé les cendres de sa sœur cadette et de ses parents. Il s'était vu fonder une famille avec elle, l'aimer jusqu'à la fin de ses jours. Alors non, il n'en voulait pas à Rose d'être la Reine de Centule ou de l'avoir dupé. Il lui en voulait d'être partie, de ne pas avoir choisi une vie avec lui.

Il lui en voulait mais il l'aimait aussi encore plus pour cela. Elle ne le savait pas elle-même, mais lui l'avait vu : elle était une bonne personne. Comme il y en avait peu. Et quitter cette vie qu'elle semblait avoir imaginé aussi à ses côtés pour assumer ses responsabilités ne faisaient que confirmer cela. Aurait-ce été plus facile si elle n'avait pas eu tant de qualités ? Aurait-ce été plus facile si elle ne lui avait pas dit l'aimer en retour ? Il n'en savait rien. Tout ce qu'il savait, c'était que son cœur était brisé et qu'il ne pourrait jamais le réparer.

Hors la loi et bientôt ReineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant