Bernon regardait la mer avec intérêt. Les vagues étaient calmes, comme son esprit. Il avait longtemps hésité avant de reprendre le large, mais il savait désormais qu'il prenait la bonne décision. Il revenait à Seinbur.
Rose l'avait quittée il y avait exactement trente-et-un jours. Les premiers matins avaient été dures, il n'était pas sorti de chez lui. Son équipage avait tenté de l'épauler, mais le chagrin d'amour qu'il traversait était bien trop dur à endurer. Au fur et à mesure des nuits, les cauchemars s'étaient apaisés et n'avaient laissé qu'une douleur constante dans sa poitrine. Il n'allait pas réellement mieux, son cœur toujours émietté par le départ de la future Reine de Centule. Mais il avait fini par réussir à se lever, acceptant qu'il ne pourrait jamais vivre la passion qu'il pensait pourtant mériter.
Puis, un jour, Sifard s'était assis à ses côtés sur la plage d'Arton. Ils étaient restés longtemps dans le silence, jusqu'à ce que son grand ami lui dise enfin :
- C'était notre projet depuis le début : trouver l'héritière et lui parler de la pauvreté de son royaume.
Et il avait raison. Sans le savoir, Bernon avait atteint son objectif. Il avait rencontré la princesse et lui avait fait comprendre qu'il fallait agir pour son peuple. Cela lui avait coûté le bonheur auprès de la femme qu'il aimait, mais il l'avait fait. Et maintenant quel était la suite ? Rothaïde lui avait promis de changer les choses mais il n'avait jamais réellement réfléchi à ce que cela signifiait. Après le départ de la jeune femme, il n'avait fait que pleurer son amour perdu sans penser aux malheurs de Centule. N'avait-il pas déjà assez donné après la mort de Broisine ? Mais Sifard avait ajouté :
- Et maintenant, nous devons aller l'aider.
Et là il avait réalisé vers quoi Rose se dirigeait. Il l'avait poussée à assumer ses fonctions de reine, et désormais elle risquait de subir le même sort que son frère, tué par un homme qui prétendait avoir droit au trône de Centule. Tout le monde avait entendu la rumeur concernant la mort de l'héritier. Le roi promet sa fille à un simple comte, énième aberration de sa politique, puis le prince héritier est assassiné. Le coupable était tout trouvé, et il s'apprêtait à monter sur le trône.
Bernon n'avait pas sauté dans le navire après cette prise de conscience. Il avait réfléchi à beaucoup de choses : aux risques qu'encourait son équipage en se rendant à la capitale, à combien leur plan de pénétrer l'enceinte royale risquait d'échouer, à ses retrouvailles avec la jeune femme. Rose voulait-elle de sa présence à ses côtés ? L'aimait-elle encore après tant de jours passés loin de l'autre ? Ils s'étaient connus si peu de temps, comment croire les mots qu'elle avait écrit dans sa lettre ? Puis il s'était rendu compte d'une chose : juste avant de le quitter, Rose lui avait dit comment pénétrer le château sans être vu. Elle souhaitait le revoir, et il cèderait à sa demande sans hésiter.
Alors il avait exposé son plan à son équipage et avait demandé qui souhaitait l'accompagner. Aucun de ses fidèles camarades ne s'était désisté. Ils naviguaient donc depuis quatre jours et demi et s'apprêtait à accoster près de la capitale. Lors des pillages, les pirates amenaient leur bateau jusqu'au port de Seinbur : nul besoin de discrétion. Mais leur plan était bien différent cette fois-ci, et personne ne devait savoir qu'ils étaient là. Bernon avait repris le commandement de l'équipage et oubliait peu à peu qu'il ne connaîtrait jamais le mariage et la vie de famille : après tout, il ne désirait aucune autre femme que Rose.
Quand la chaloupe griffa le sable d'une plage proche de Seinbur, le cœur du capitaine recommença à tambouriner dans sa poitrine. Rose était toute près, il la reverrait bientôt. Arrivé à quelques pas de la cité, il était l'heure pour l'équipage de se séparer : Bernon pénétrait seul dans la ville, couvert d'une cape de marchand pour ne pas être reconnu, tandis que les membres de son équipage passeraient la nuit à l'extérieur. Il était déjà tard et tant que le capitaine n'avait pas parlé à l'héritière du trône, les autres pirates ne savaient comment aider.
- Je vous retrouve demain aux matines. Si je ne suis pas là, c'est qu'il m'est arrivé quelque chose.
Les pirates hochèrent la tête.
- Fais attention à toi, s'inquiéta Gausle.
Le pirate sourit à la femme de son meilleur ami et hocha la tête.
- Bien sûr.
- Rappelle-toi, si tu comprends que Rose t'a menti...
- Elle ne m'a pas menti, la coupa-t-il.
La blonde souffla. Elle avait moins confiance en l'héritière du trône que Bernon. Elle l'appréciait tant qu'elle était sur le navire, mais comment savoir si le contenu de la lettre était vrai ? Et puis, elle avait tant fait souffrir son capitaine. Elle savait qu'ils se devaient d'essayer de l'aider, dans le cas où la princesse désirait réellement aider son peuple, mais elle s'inquiétait pour son ami. Elle n'insista cependant pas : elle l'avait déjà bien assez prévenu lors de leur voyage en mer. D'autant plus qu'elle savait que ce dernier était tombé fou amoureux de la noble, et pour avoir connu la passion dévorante avec Sifard, elle savait qu'elle ne pourrait jamais le raisonner.
- Bonne chance, ajouta-t-elle alors.
Puis Bernon pénétra dans la capitale.
Il découvrit, pour la première fois, les rues de la ville qui ne se sentaient pas menacées par son propre navire. Même s'il n'avait jamais réellement eu l'intention de blesser qui que ce soit, l'arrivée de son équipage sur le port était toujours source d'agitation pour la capitale.
Quand le pirate arriva au pied du château, il prit soin de se cacher des gardes pour étudier en détail les options qui s'offraient à lui. Il ne lui fallut qu'une dizaine de minutes avant de constater, en effet, que les fenêtres du château n'étaient pas aussi bien protégées que les entrées. Vérifiant qu'il avait bien son couteau sur lui, il entreprit donc de se faufiler derrière les remparts au moment où l'un des gardes ne le regardait pas, et escalada le plus discrètement possible les murs royaux.
Le château avait trois niveaux. Il se doutait que la chambre de la princesse ne serait pas au premier, alors il monta directement au second. De plus, Rose aimait la mer : même si elle n'avait jamais eu l'occasion de naviguer avant de le rencontrer, il l'avait vu dans ses yeux. Alors il décida de regarder en priorité les pièces donnant sur l'étendue d'eau. Il fit attention à se plaquer contre le mur de pierre pour se confondre avec la nuit noire. Et enfin, après longtemps à parcourir la façade du château, il trouva la chambre royale. La princesse ne se trouvait pas à l'intérieur, mais Bernon reconnut la servante personne avec qui il l'avait confondue lors de l'attaque. Il remarqua alors son ventre arrondi qu'il n'avait pas remarqué deux mois plus tôt.
Finalement, Rose fit apparition dans ses appartements, un air inquiet sur le visage. Elle parla un instant avec sa domestique mais Bernon ne put rien entendre de leur conversation. Puis, la servante quitta la pièce et le pirate souffla de soulagement. Il la retrouvait enfin.
Alors que Rose s'asseyait à sa coiffeuse, Bernon sortit son couteau et le passa discrètement dans l'encolure de la fenêtre pour en forcer l'ouverture. Il prit son temps afin de ne pas se faire surprendre par les gardes, même si ces derniers ne se doutaient pas un instant qu'un intrus avait pénétré le château.
Alors que le capitaine s'apprêtait à ouvrir les deux battants, Rose se leva de son siège et lui tourna le dos. Il observa sa démarche féline et la beauté de sa chevelure. Elle lui avait manqué. Il n'avait pas encore pu voir son visage, même lors de sa conversation avec sa servante, mais il savait que cela ne tarderait pas. Et il s'en languissait déjà. L'héritière remonta lentement ses mains et toucha du bout des doigts le laçage de sa robe. Il était étrange de la voir ainsi bien vêtue. Mais le pirate devait être honnête : malgré la rancœur qu'il avait envers les richesses inutiles du château, il la trouvait magnifique dans un tel vêtement.
Ce fut alors que Rose défit le nœud qui maintenait le tissu en place et sa robe tomba au seul.
La respiration de Bernon se coupa.
Il aurait voulu observer la femme qu'il aimait dans une si simple tenue pendant des heures, mais il savait qu'il n'en avait pas le droit. Alors il rentra enfin. Il avança discrètement dans la pièce et au moment où la jeune femme allait s'attaquer à son corset, il posa ses mains sur sa taille.
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Hors la loi et bientôt Reine
PertualanganRothaïde est la future Reine de Centule. Quand les pirates attaquent son royaume et la font prisonnière, elle ne pense plus qu'à une chose : cacher son identité royale à ses ennemis. Mais elle se rendra vite compte que le plus dur ne sera pas de res...