VI - L'humain

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   J'ai quand même passé bien des "lunes" dans ce "village", perché entre les feuillages...

   J'y ai appris à faire glisser mon chant sur les vents de la pensée, à "parler". La langue orale des elfes, avec sa praticité poétique, qui fait glisser l'information sur l'air et qui passe de connecteurs logiques courts en qualificatifs de plus en plus précis et de plus en plus longs. Et son extension humaine, avec son étonnant manque d'économie, qui marche bruyamment sur les courants qui la déplacent, comme sur un "escalier" de "phrases".

   J'ai appris à faire glisser mon regard sur les "feuilles" blanches, à "lire". Les anciens écrits descriptifs et poétiques des elfes, sur leur avenir et leur fin, ainsi que les nouveaux romans passionnants et historiques des humains, sur leurs passés et leurs origines.

   Tel un vrai elfe, j'ai même appris à me déguiser en humain, à "m'habiller".

   Même si ça restreint, c'est vrai que c'est drôle leurs "habits", comme une seconde peau amovible. Mais, je n'apprécie pas leurs "chaussures", avec leurs "lacer" et leurs parois contraignantes.

   Enfin... les elfes ont beau me dire humain, ce n'est pas le cas des humains. Ils ne me reconnaissent pas en eux-mêmes.

   Ceux qui m'ont poursuivi, il y a longtemps, criaient, pour me désigner, "animal".

   Si je ne suis pas tout à fait humain... je ne suis pas davantage elfe. J'ai beau adopter un parent temporaire, comme eux, j'ai encore trop d'humain, pour être à leur image. Je ne peux m'identifier qu'à une catégorie plus large...

   De toute façon, même les elfes ne comprennent pas bien ce que ce "mot" signifie. On connaît leur apparence, mais trop peu de leurs comportements ou de leurs valeurs.

   Je sais qu'ils ressemblent aux grands elfes, si ce n'est qu'ils sont diurnes. Mais, maintenant que je dors le jour, ne suis-je devenu qu'un simple elfe ?

   Lorsque j'étais un grand singe, je mangeais des feuilles, des fruits et des "termites". Les "calaos bicornes", eux, planaient et criaient dans le ciel. Sauf qu'à présent, je ne sais plus ce que je suis. Mais, qu'est-ce que ça y change ? Je ne sais pas comment un humain agirait à ma place, de toute façon.

   Et puis, en attendant de savoir ce que je suis ou ce qu'autrui ferait à ma place, il faut déjà que je décide ce que je veux faire, en tant que moi-même. Je sais que je ne veux pas être un "loup". Peut-être que je peux être comme mon ami, comme le "sanglier".

   — Au fait, pourquoi la guetteuse et le druide nous ont-ils sauvés, mon ami et moi ?

   — Ça fait partie de leurs rôles dans une communauté frontalière, me répond Sélène, la petite elfe. Et puis, il le fallait bien, t'imagines sinon...

   Oui. Je me souviens de cette présence... celle du monstre aquatique.

   Cette sensation...

   Je regarde le bestiaire entre mes mains et cherche la catégorie "espèces conscientes", puis la "page" sur cette créature, sur "l'amphibien".

   Il n'y a aucun dessin.

   Seulement, quelques vagues descriptions et d'étranges anecdotes.

   — Aucun elfe n'en a vu toute la silhouette et trop peu d'humains parviennent à s'en enfuir pour nous la décrire. On ne sait même pas quoi penser de ces anecdotes. Elles sont humaines et écrites, ou seulement parlées, m'avoue Sélène.

   Je referme le bestiaire. Je n'en saurais pas plus. Je le range et me dirige jusqu'à la porte. Je pose ma main sur la poignée, l'agrippe, la tourne et l'ouvre.

L'enfant de la JungleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant