Chapitre 19

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August


« On est bientôt arrivés ? » demande tant bien que mal April en enjambant une branche.


« Bientôt. »

« Où est-ce que tu m'emmène ? »

« Tu verras ! »

Nous avançons tranquillement dans l'herbe haute. Cela faisait plusieurs jours que j'essayais de trouver un moyen de changer les idées à April, jusqu'à ce que ce matin cet endroit s'impose à moi. April se fait de plus en plus de soucis pour les concours à venir et cela se répercute à la fois sur son mentale et sur sa performance.

« Mais on ne devrait pas s'entraîner ? Le concours est demain et je suis sûre que les élèves de Lise ne me feront pas de cadeau ! »

« S'entraîner la veille n'est pas bénéfique. »

« Voilà une pensée typique d'un prodige du patin ! Ou d'un inconscient ? J'hésite encore. » Elle manque de trébucher sur une motte de terre camouflée par les mauvaises herbes et se rattrape de justesse à ma veste. « N'empêche, tu aurais pu choisir un endroit moins loin. »

« T'as fini de te plaindre ? »

« Ça dépend, on arrive bientôt ? »

« Enfaite, on vient d'arriver. »

Je m'écarte pour lui offrir une meilleure vue du paysage. Lorsqu'elle aperçoit la vaste étendue d'eau qui s'étend à perte de vue et nous entoure presque complètement, ses yeux s'illuminent. Elle s'avance davantage et sort un appareil photo jetable de son sac.

« Ce lac est magnifique ! Je ne savais pas qu'il y en avait un dans les parages. »

Le clic de l'appareil photo retenti plusieurs fois, se mêlant au bruit du vent.

« A défaut de pouvoir t'emmener voir la mer, je me suis dit que je pouvais te montrer cet endroit, » dis-je en sortant une grande nappe de mon sac à dos.

« Excellente idée ! Je ne culpabilise presque plus de ne pas réviser mon programme de demain. »

« C'est dommage qu'on soit en hiver, il fait frais et le vent n'arrange rien. Mais si tu veux on pourra revenir au printemps pour pique-niquer ! »

J'essaye d'aplatir le drap du mieux que je le peux, combattant le vent capricieux qui menace de l'emporter à tout moment. La réponse d'April tarde à venir. Lorsque nos regards se croise, je me rends compte qu'elle fixait malgré elle un point invisible au loin, perdue dans son monde.

« Avec plaisir. »

Une légère panique me gagne sans que je ne puisse vraiment savoir pourquoi. Je saisis sa main et la tire doucement pour qu'elle s'asseye à mes côtés. Surprise, elle pousse une exclamation et me fixe avec de grands yeux.

« C'est n'est pas parce que nous sommes en automne qu'on ne peut pas profiter ! » parviens-je à dire, après un moment.

« C'est vrai ! » Ses yeux s'adoucissent. « Alors, c'est quoi la suite du programme ? »

« Enfaite, je n'y ai pas vraiment pensé. »

Elle ris de bon cœur, son regard toujours plongé dans le mien.

« Pourquoi ne pas se poser des questions tout simplement ? » Demande-t-elle finalement.

« Se poser des questions ? »

« Oui, quand tu y penses, on ne se connaît pas plus que ça. Et pourtant on passe notre temps à se voir. »

J'ai toujours trouvé April mystérieuse, et était en quelque sorte attristé de la distance inconsciente que cela créait entre nous. Mais savoir que de son côté elle pensait la même chose, me rassure. Car en un sens cela montre que cet étrange besoin d'en savoir plus sur l'autre est mutuel, que cette connexion qui nous unis est véritable, même si les mots me manquent pour la nommer.

« Allons-y alors ! »

« A vous l'honneur très cher August. »

« Oh, par quoi commencer ? »

Je triture mes doigts nerveusement. J'avais un tas de questions en tête il y a à peine une minute, et maintenant plus rien. Seulement le vide.

« Ta couleur préférée ? »

« Vraiment ? » Elle me lance une œillade amusée.

« Pourquoi pas. »

« Tu me prends de court... » elle ne réfléchit pas longtemps pourtant. « Là, comme ça, je dirais le jaune. »

Mon sourire s'élargit inconsciemment.

« Ça te va bien. »

« C'est à dire ? »

« C'est...solaire ? »

April ris du bout des lèvres, prise au dépourvu.

« Moi solaire ? »

Je sens mes joues chauffer. Pourquoi est-ce que j'ai sorti un truc pareil ?

« Laisse tomber, je ne sais même pas pourquoi j'ai dit ça. »

« Et voilà, tu recommences. Tu commences à dire quelque chose et tu ne vas pas au fond de ta pensée. Je ne vais pas me vexer ou partir et te laisser en plan parce que tu as dit que j'étais solaire. Je suis là et je t'écoute, alors parle. »

« C'est exactement à cause de ce genre de réactions que je dis ça. Tu attires les gens vers toi, et fais ressortir le meilleur qu'il y a en eux. »

Sa bouche se tord légèrement et ses yeux se dirigent à nouveau vers un point lointain.

« Je pense que tu m'idéalises un peu trop... »

Cette phrase s'échappe de ses lèvres en un murmure, si bien que je ne suis pas certain qu'elle l'aie prononcée tout court.

« A moi de te poser une question ! »

April se redresse comme si de rien n'était, toute trace de mélancolie envolée.

« Et toi alors ? Qu'est-ce que c'est ta couleur préférée ? »

Mes yeux dérivent vers les siens un court instant, de façon imperceptible.

« Le vert. »

Nous continuons comme ça un moment, nous posant des questions anodines et faisant pour la première fois réellement connaissance. Le temps se dégrade petit à petit et de gros nuages gris prennent placent au-dessus de nos têtes.

« Bon, à moi, » reprend April. « Une question un peu plus risquée. Si tu le pouvais tu te remettrais au patin ? »

Et voilà. Il fallait bien qu'elle aborde le sujet à un moment où un autre. Même si secrètement j'espérais qu'il passe à la trappe.

« Peut-être. »

« C'est à dire ? »

« Il y a des jours où j'aimerais m'y remettre. Mais ma raison me rappelle à l'ordre. Même si j'essayais ça serait un échec. »

« Même si tu essayais de faire des tours de pistes tous simples pour commencer ? »

Je prends une grande inspiration.

« Enfaite... j'ai peur. »

Ce mot sort presque naturellement et pourtant, il emporte avec lui un poids conséquent, dont je ne soupçonnai pas l'existence quelques minutes plus tôt.

« J'ai peur que ma cheville fasse des siennes, que le fait de ne pas avoir le même niveau qu'avant me bloque complètement ou pire, me dégoûte complètement. »

April semble réfléchir intensément.

« Si... »

Oula.

« Si je te faisais promettre quelque chose, tu t'y tiendrais ? »

« Ça dépend. »

« Si je gagne la compétition de Février, est-ce que tu pourrais me promettre de te remettre au patin ? »

Mon esprit se brouille. Si je fais cette promesse, je vais être obligé de la tenir connaissant April. Mais en serais-je capable ? Au-delà de ma propre volonté, tellement de variables entrent en compte, que je ne peux être certain de ce que je serais capable de faire ou non.

« Je ne peux pas te promettre d'y arriver. Mais je veux bien essayer. »

« C'est déjà pas mal, » elle me pose la main sur l'épaule de façon encourageante.

« A moi. L'autre jour quand tu parlais avec ton ami du lycée, pourquoi est-ce que tu avais l'air aussi mal à l'aise ? »

« Avec Mat ? Eh bien, j'ai quitté le lycée du jour au lendemain sans leur donner de réelle explication. Alors, j'étais gênée de le revoir après tout ce temps. »

Elle semble chercher ses mots, les peser consciencieusement avant de les prononcer réellement.

« Et pourquoi est-ce que tu as a quitté le lycée sans dire au revoir ou prévenir tes amis ? »

« Une seule question à la fois mon cher August. »

« Hein ? Mais depuis tout à l'heure tu m'en pose plusieurs d'un coup ! »

« Parce que tu voulais bien répondre. »

« C'est injuste. »

« La vie est injuste. »

« Bon, vas-y alors. »

Cette fois, elle semble hésiter. Comme si elle n'était pas sûre de ce qu'elle allait demander.

« Dépêche-toi, il va bientôt pleuvoir, on ne pourra pas rester ici encore bien longtemps, » dis-je en observant le ciel s'assombrir de plus en plus.

« Si tu ne veux pas répondre je comprendrais. Tes parents, qu'est-ce qu'il leur est arrivé exactement ? »

« Ah. »

Si elle avait posé la question un autre jour, je ne lui aurais sûrement pas répondu. Mais étrangement, je ressens le besoin de lui raconter. C'est peut-être à cause de l'euphorie du moment. Ou bien est-ce parce qu'elle a su me montrer que je peux lui faire confiance ?

« Il sont morts dans un accident de voiture quand j'avais 14 ans. L'accident bien cliché, un chauffard qui avait deux grammes, une soirée pluvieuse, une dispute. »

« Je suis désolée... »

« Il ne faut pas, c'est la vie. C'est dur, mais malheureusement on ne peut rien y faire, juste accepter. C'est le risque lorsqu'on s'attache au gens, on peut les perdre à tout moment.

« Et toi ? Aujourd'hui, ça va ? Comment tu te sens par rapport à tout ça ? »

« Encore une fois, j'ai peur, constamment. Peur de faire une connerie, peur de voir les gens qui compte pour moi disparaître complètement. Je pense que c'est aussi pour ça que je ne voulais pas devenir ton coach. J'avais peur que si je te laissais entrer dans ma vie, tu finisses par en sortir, en emportant toi aussi une partie de moi avec toi. »

« Je vois... »

« April ? »

« Oui ? »

« Tu sais quoi, oublie tout ce que je viens de te dire. Je me suis laissé emporter. Mais ça va, je te le promets. »

Le silence qui accueil ma tentative de sauvetage n'est pas très long, et pourtant j'ai l'impression qu'il dure des heures.

« C'est en effet impossible de savoir si les gens vont rester. On ne peut pas prédire l'avenir. Mais moi, je te promets de rester avec toi autant que je le pourrais. Et de combattre tout ce qui essayera de m'éloigner. De toutes mes forces. Une promesse pour une promesse après tout. »

Les mots m'échappent. Une fois de plus, grâce à des paroles simples elle arrive à me faire me sentir mieux.

Nous restons assis là, un sourire idiot plaqué sur les lèvres pendant encore plusieurs minutes jusqu'à ce que l'orage éclate finalement. Nous nous mettons à ranger nos affaires à la hâte, jusqu'à ce qu'April s'arrête subitement. Elle ferme les yeux, relève la tête et écarte les bras, accueillant le contact de la pluie. Je la regarde faire sans rien dire, le souffle coupé par la magnificence de la scène.

« Tu penses que demain je vais réussir à gagner ? »

« Je suis sûre que tu vas assurer. »

« Je vais tout faire pour remporter ce concours, et ensuite, je me donnerais à fond pour la prochaine et dernière compétition. »

« Que tu remporteras aussi parce que tu as les meilleurs entraîneurs de la planète. »

Son regard semble résolu. Elle se tourne vers moi un sourire radieux aux lèvres, et notre journée s'achève sur cet échange.

Tout se passait si bien, trop bien. Cela ne pouvait-être que mauvaise augure.

Le lendemain, nous avons attendu April jusqu'au bout, mais elle n'est jamais venue.

August et AprilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant