Chapitre 29

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April



« April Wilson ! »

Ma mère rattrape la porte juste au moment où je m'apprête à lui claquer au nez.

« Je t'interdis d'y aller. Tu en as déjà suffisamment fait comme ça. Ce patinage... ça devient une obsession, maintenant ça suffit. »

Je soupire. Tous les matins j'ai le droit à la même rengaine.

« Tu sais très bien que je vais y aller, même si tu n'es pas d'accord. Et ce, peu importe ce que tu pourras me dire. »

« Tu ne prends pas soin de toi. Je m'inquiète tu sais. »

« Ah oui ? C'est très drôle venant de la personne qui a préféré me laisser passer noël toute seule ! »

 « Tu sais très bien que je n'avais pas le choix. »
 

« Comme tu peux savoir que moi je l'aie ! »

Les mots fendent l'air, tranchants et venimeux. C'est dans ce genre de moments que l'on en vient à dire des choses que l'on regrettera amèrement plus tard. Et pourtant, il est impossible de s'arrêter.

« Tu as le choix. Tu pourrais occuper tes journées à des choses moins dangereuses. »

« Oh ça va ! A t'entendre parler on pourrait croire que je risque de mourir à chaque fois que je franchis cette porte. Maintenant, laisse-moi y aller je vais être en retard et Lise ne va pas me lâcher. »

Je réunis toute la force que je peux et referme violemment la porte. Il ne me faut que quelques secondes pour dévaler les escaliers et me retrouver dans la rue. Je ne prends pas le risque de vérifier si ma mère me suit, et me fond déjà dans la foule. Ça promet d'être une longue journée. Surtout avec le dernier cours que je dois donner aux enfants ce soir.


***


J'arrive à la patinoire juste à l'heure. Lorsque les portes se referment derrière moi, deux têtes pivotent dans ma direction avec une synchronisation parfaite. August abandonne presque instantanément ce qu'il faisait et m'approche, tout sourire.

« April ! »

La soudaine excitation dont il fait preuve me surprend et ne me dis rien qui vaille. Je l'observe avec méfiance et il semble le remarquer puisqu'il se met à froncer les sourcils.

« Ne me regarde pas comme ça, je viens d'avoir une idée de génie. »

« Une idée suicidaire plutôt. »

Lise s'approche, le visage déconfit, comme si elle avait pris dix ans d'un coup.

« Arrête, tu sais que ça peut tout changer. »

« Oui, de la meilleure ou de la pire des façons. »

« Ce que tu peux être pessimiste. »

Je colle ma main sur mon front. Une migraine atroce me transperce la tête depuis le matin. Et ces deux-là semblent empirer les choses.

« Est-ce que quelqu'un peut m'expliquer ce qu'il se passe ? »

Leur conversation se coupe net. August se renfrogne et Lise respire exagérément fort pour se donner une contenance.

« August, »

Elle fait une pause.

« Est arrivé ce matin avec l'idée en tête de caler un quadruple axel dans ton programme. »

Ma bouche s'entrouvre légèrement sous le choc. Un quadruple axel ? Déjà que peu de gens le maîtrisent de base, alors le tenter en compétition ?

« Non. Impossible. »

« Je te l'avais dit, » lance Lise à August.

Ce dernier se gratte la tête avec frustration.

« Je ne comprends pas, » dit-il finalement. « Ça règlerait tellement de problèmes. »

« Tu ne comprends pas ? »

Un rire nerveux m'échappe.

« August, deux patineurs seulement l'ont tenté et réussi en compétition à ce jour. Je n'y arriverai jamais. »

« J'y suis bien arrivé moi, alors pourquoi tu n'y arriverais pas ? »

Le ton qu'il prend montre qu'il ne comprend vraiment pas ma réaction. Ce n'est pas une vanité mal placée qui s'exprime, mais plutôt son côté ancien prodige qui ressort.

« Parce que je n'ai pas le même niveau que toi. Tu es hors normes August. J'ai beau travailler et travailler encore, je n'arrive pas à patiner comme je le veux ! Et tu me demandes de faire un quadruple Axel ? Tu ne peux décidément pas comprendre ce que c'est. »

August devient livide. Ses yeux brillent et me font comprendre que je l'ai blessé. Mes paupières sont lourdes et mes oreilles sifflent. Décidément cette journée est catastrophique.

« Je ne peux pas comprendre ? Est-ce que tu sais à quel point j'ai travaillé ? À quel point je me suis buté à chaque entraînement ? Et tu me dis que je ne peux pas comprendre ? Mon niveau je ne l'ai pas volé, même si c'est ce que tu sembles croire. Je l'ai gagné et je refuse de... »

« Ça suffit ! »

Lise nous foudroie tout deux du regard. Les gens commencent à sortir des vestiaires pour venir voir ce qu'il se passe. Tous les regards sont rivés sur nous.

« Pas de ça dans ma patinoire, » continue l'entraîneuse. « Ce n'est ni le lieu, ni le moment de vous hurler dessus comme des animaux. Je pensais que vous valiez mieux que ça tous les deux. »

Elle se tourne vers August.

« Toi. Tu proposes, libre à elle d'accepter ou de refuser. Mais en aucun cas tu ne peux la forcer. »

Puis vers moi.

« Quant à toi, peu importe à quel point tu es fatiguée ou énervée cela ne te donne pas le droit de te défouler sur les autres. »

L'entièreté de la patinoire est maintenant agglutinée autour de nous. August fixe le sol, les joues rouges, regrettant déjà ce qu'il a pu dire.

« Maintenant, vous allez vous préparer. Si vous voulez que je continue à m'occuper de vous, je ne veux plus vous entendre vous manquer de respect comme ça, est-ce que c'est compris ? Plus jamais. »


***

J'enfile mes patins avec lassitude. Je n'aurais jamais dû dire tout ça à August. Dès la fin du cours j'irais m'excuser. Le blesser et le perdre est la dernière chose que je souhaite. Mon poing se serre un peu plus sur les lacets. Je suis tellement égoïste.

Monter sur la glace est plus dur que ce que j'aurais cru. Mes jambes s'emmêlent et la température semble encore plus basse qu'à l'accoutumé. Mais mon corps, lui, est bouillant.

« On va commencer doucement, » cri Lise depuis les gradins. « Fais-moi quelques pirouettes. »

Ma respiration se fait de plus en plus saccadée et sifflante. Je m'éloigne du bord et me met en place. Ma vision se trouble.

« April ? Tu vas bien ? »

Je devine la silhouette d'August non loin. Il semble hésiter à monter sur la glace pour me rejoindre. Je lui adresse ce qui doit ressembler à un sourire pour le rassurer. Mais lorsque je veux parler aucun son ne sort. Finalement, ma vue se brouille complètement. Je tente d'avancer, de le rejoindre, mais je sens bientôt mon corps basculer, suivit de l'impact avec la glace et du bruit sourd qui l'accompagne.
Puis les cris affolés de Lise et d'August de plus en plus lointains. Et enfin, plus rien. 

Un silence total.

August et AprilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant