Chapitre 37

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August


April a été admise à l'hôpital.

Le soir-même les résultats du concours sont tombés : April n'a pas gagné. A quelques points près, elle aurait pu être sur le podium et se classer troisième, mais sa chute lui a coûté trop de points. Ça, additionné à plusieurs petites erreurs. Malgré cela, April est celle qui a le plus brillé. Après, à chacun de décider ce qui lui semble le plus important.

Pour moi, April brillera toujours.

Les médecins ont parlé. L'état d'April est inquiétant. Ils ne savent même pas comment elle a pu tenir jusque-là. Comment elle a réussi à s'entraîner autant et à donner une telle performance. « La souffrance qu'elle a dû ressentir aurait dû la convaincre de venir à l'hôpital plus tôt ». Mais April n'abandonne pas aussi facilement. April persévère sans se soucier de ce que ça pourrait lui coûter.

April brillera toujours.

Mais surtout, April ne voulait pas entrer à l'hôpital, car elle avait bien trop peur de ne plus en ressortir.


***


« Puisque je te dis que je vais bien ! »

April est assise dans son lit. Plusieurs appareils l'entourent et font un bruit infernal.

« Laisse-moi en douter. »

« Mais je te promets ! Regarde, je peux me mettre debout sans mal. »


Elle se redresse d'un coup et tente de cacher l'appuie qu'elle a besoin de prendre sur le lit pour se maintenir debout.

« Je refuse de croire quelqu'un qui m'a menti tout ce temps. Même en ayant fait un malaise tu continuais à affirmer que ces derniers mois ne t'avaient pas épuisée et que tout allait bien. Alors je ne croirais que ce que je verrais à partir de maintenant. »

Je pose le bouquet de fleurs sur sa table en le réarrangeant.

« Quelle jolie bouquet, » s'exclame April. Je suis flattée que tu aies pensé à m'en amener.

« Je suis passé devant un petit fleuriste en venant ici. D'une certaine façon ce bouquet m'a fait penser à toi. »


Elle soupire soudain et se laisse retomber sur son lit.

« Tu dois avoir du succès avec les filles, c'est dingue que tu ne sortes avec personne. »

Je me fige instantanément.

« D'où ça sort ça ? »

« De nul part. C'est juste une constatation. »

« Même si j'avais du succès, ça ne m'intéresserait pas. »

« De sortir avec quelqu'un ? »

« Non de sortir avec ces filles. »

J'abandonne le bouquet et vais m'assoir dans la chaise positionnée en face du lit d'April.

« Tu es déjà sorti avec quelqu'un August ? »

Je la regarde quelques secondes avant de répondre, pas trop sûr de savoir où elle veut en venir.

« Oui quelque fois. »

« Je vois. »

Je n'ai pas envie de lui retourner la question mais quelque chose me laisse penser qu'elle n'attend que ça.

« Et toi ? »

« Jamais. »

« Pourquoi ? »

Elle s'étire et son regard se perd au travers de la fenêtre, au-delà, sur le monde extérieur.

« Je ne suis jamais tombée amoureuse de personne. Je le voulais, mais j'avais trop peur d'essayer. Peut-être par peur d'être déçue, ou de ne pas supporter la pression d'avoir quelqu'un qui tient autant à toi. Étrange non ? »

« Non, je peux comprendre. C'est déjà dur de réussir à satisfaire ses propres attentes. Alors devoir gérer celle de quelqu'un d'autre peut paraître impensable. »

« Exactement. Mais maintenant je regrette un peu. Je regrette d'avoir été prête trop tard. »

Je la dévisage sans trop comprendre. Ou plutôt en aillant peur de comprendre.

« J'aurais aimé te rencontrer plus tôt August. »

Son attention quitte finalement l'extérieur pour se porter sur moi, puis sur la porte.

« Moi, »

« Est-ce que tu t'es déjà surpris à imaginer la vie d'un inconnu ? »

April est imprévisible. Je le sais et pourtant elle ne cesse de me prendre au dépourvu.

« Oui parfois, comme tout le monde je pense. »

« Lorsque je suis descendu à la cafétéria l'autre jour pour m'acheter un chocolat, »

« Tu n'es pas censé ne pas en boire ? Le médecin ne semblait pas vraiment pour. »

« Tais-toi Monti. Je suis malade, j'ai tous les droits. »

« Oui chef. »

« Je disais donc, l'autre jour j'ai vu une femme enceinte entrer à l'hôpital. Et sans vraiment le vouloir j'ai commencé à lui inventer une vie. Elle était sûrement là pour accoucher. D'un petit garçon qu'elle appellera Kurt. Ses amis l'appelleront Kurty pour se moquer. Il va grandir dans une famille aimante et fera du baseball plus tard. Il deviendra professionnel et aura une carrière incroyable. Il vivra longtemps et heureux. »


« Du baseball ? »

« Chut, laisse mon cerveau se faire des films en paix. »

Je rigole et m'approche de la fenêtre.

« J'espère que Kurt aura une aussi belle vie que celle que tu as pu lui imaginer. »

Mon attention se porte sur une fille aux cheveux décolorés d'environ l'âge d'April qui marche dans la rue.

« Et elle ? Tu penses que c'est quoi sa vie ? »

April s'approche tant bien que mal et s'appuie contre moi pour regarder.

« A toi de l'inventer. »

Je réfléchis un instant.

« Elle s'appelle Vanessa et prend des cours dans une école d'art. »

« Tu dis ça à cause des cheveux décolorés ? Quel cliché. »

« Dis la fille qui a créé un Kurt joueur de baseball. »

« Bien envoyé. Continues ! »

« Elle va rejoindre ses amis pour boire un coup et fêter son anniversaire. Elle va avoir son diplôme haut la main et va devenir illustratrice pour enfants. »

« C'est tout ? »

« C'est déjà pas mal. La vie est courte après tout. »

« Trop courte. »

Nous continuons à inventer la vie de personnes qu'on ne reverra sûrement jamais pendant longtemps. Penser au quotidien des autres nous permet d'oublier un peu le nôtre pour un temps.


***

Je franchis les portes de la patinoire. Lise m'a obligé à venir lui donner un coup de main en me précisant qu'elle ne me laisserait pas fuir cet endroit comme je l'ai autrefois fait. Je la vois un peu plus loin, en grande conversation et lui adresse un signe de tête pour ne pas l'interrompre. Je me dirige vers les casiers et ouvre le mien pour récupérer un bloc-notes. C'est vraiment le bazar là-dedans, je ne sais pas comment je fais pour m'y retrouver. Je décide donc de sortir quelques affaires pour mettre un peu d'ordre avant que Lise n'arrive. Lorsque je tire un carnet, un papier tombe.
Je me penche pour le ramasser et le déplie délicatement. L'écriture d'April m'apparaît alors. Je lis le mot sens trop comprendre. Depuis combien de temps est-il ici ?
Puis je me souviens de cette journée où elle n'avait pas trop le moral et où je lui ai offert un chocolat chaud avec un mot qui disait :


« Je n'ai jamais vraiment été doué avec les mots alors peut-être que ceux de quelqu'un d'autre arriveront mieux à te donner du courage :

Crois en toi et tu auras fait la moitié du chemin - Roosevelt »


Après tant de mois, je découvre enfin sa réponse :

« Peu importe les mots que tu aurais choisi, tu aurais réussi à me redonner du courage malgré tout.

Même une feuille de papier est plus légère si on la porte à deux. »


Mes mains se mettent à trembler.
Comment je suis censé porter la feuille de papier si tu n'es plus là ?
Je m'apprête à faire demi-tour, à dire à Lise que je ne peux pas l'aider finalement mais une voix m'arrête. Une voix que j'aurais préféré ne jamais avoir à entendre à nouveau.

« Mais si ça ne serait pas le petit ami de Wilson ? »

Je me retourne et fait face à la personne que je dois haïr le plus au monde.

« Rurik. »

« April n'est pas avec toi ? Tu me diras ça ne m'étonnes pas après la raclé qu'elle s'est prise. »

J'essaye de me convaincre de l'ignorer. De partir loin, où je ne pourrais ni le voir, ni l'entendre, ni avoir envie de coller mon poing dans sa tête de con. Mais c'est sans compter sur la capacité qu'il possède à être abjecte.

« Elle a voulu se mesurer aux grands en utilisant des techniques trop bien pour elle, pas étonnant qu'elle se soit ramassée comme ça. Au moins maintenant elle sait où se trouve sa place, au bas de l'échelle. J'espère qu'elle a commencé à chercher du boulot en superette, parce qu'après une honte pareille elle ferait mieux de se cacher. A sa place c'est ce que je ferais. »

C'est trop. Et cette fois-ci Lise n'est pas là pour s'interposer. Je ne lui laisse pas le temps d'ouvrir à nouveau la bouche. Le coup part. L'impact est violent et la douleur lui déforme le visage. Je ne ressens rien, si ce n'est une profonde satisfaction. Comme si j'avais vécu jusqu'à aujourd'hui pour ce moment. Rurik est sonné mais sa fierté en a pris un coup elle aussi. Il ne tarde pas à me le faire savoir et se jette sur moi. Nos râles et les objets qui volent sur notre passage attirent les curieux et bientôt on tente de nous séparer.
Il me semble entendre Lise crier. Mais je ne suis pas certain. Je n'entends plus rien, assourdi par une profonde colère mais surtout, une profonde détresse.

August et AprilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant