Chapitre 12

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Toui lou valat van à la mar.
Tous les ruisseaux vont à la mer.
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Marie-Gabrièle de Caritat de Condorcet s'en voulait terriblement. Elle n'avait jamais traité Ariane de la sorte.
Mais comment faire autrement ? Si cette dernière avait été au courant de la situation, elle serait morte d'inquiétude.

La comtesse se trouvait à présent dans le bureau de son mari, qui lui servait de refuge temporaire. Tous ses serviteurs avaient l'ordre de ne pas la déranger lorsque la porte était close. Sa fidèle servante la Salicon y veillait.

Depuis le départ de son mari, il y avait près de quatre mois, le maudit prieur la harcelait pour cette vieille affaire de dîme. Avec son amie, Madame de Borelli et son époux le seigneur du Villard, ils avaient été fermes envers le cupide homme, en lui répétant sur un ton qui ne souffrait aucune réplique, que le dernier jugement de la cour de justice avait été en leur faveur. L'affaire était donc simple et surtout close. Leurs deux domaines seigneuriaux respectifs étaient bien exonérés de l'impôt en question et cela depuis plus de cent ans, avaient-ils conclu en espérant lui clouer le bec.

En fait, les deux domaines ne disposaient d'aucunes autres ressources que l'exploitation de leurs terres cultivables et ces dernières ne composaient qu'une infime partie de l'ensemble de leurs terres respectives. De plus, outre pour le bois de chauffage à disposition de tous les villageois, les zones forestières de Seuze et Seuzette ne comprenait pas d'essences exploitables et n'étaient donc pas sources de revenus. C'est pourquoi, les paysans de Sigoyer-du-Dô et du Villard qui payaient déjà toutes les autres taxes, n'auraient pas pu en supporter une de plus. C'est ce que les anciens prieurs avaient justement acceptés et c'est ce qui avait été convenu depuis plus d'un siècle. Jusqu'à l'arrivée de ce maudit Raymond-Guillaume Corbe.

Pour obtenir la preuve irréfutable de la décision de justice de la Cour de Paris, la comtesse jouant de son illustre patronyme avait même été obligée de quémander des faveurs à quelques hauts dignitaires parisiens qui avaient des relations avec sa famille. Ainsi, elle avait pu récupérer le parchemin original du verdict signé par l'autorité royale. Elle avait d'ailleurs été bien inspirée de conserver jusqu'ici ce précieux document avec elle. Car depuis, elle avait découvert que la copie qui avait était déposée au tribunal administratif de Gap avait été accidentellement perdue.

Malgré cela, le prieur actuel ne lâchait pas l'affaire, il se croyait au-dessus des lois. Lorsqu'elle avait rencontré cet homme froid et calculateur pour la première fois, elle avait décelé chez lui, un ego sur-dimensionné. Marie-Gabrièle de Caritat avait comprit qu'il ferait de ce cette affaire son cheval de bataille afin, avait-elle supposé, de briller auprès de sa hiérarchie. Cet homme ne se contenterait pas d'un petit prieuré dans les montagnes, il souhaitait gravir les échelons et pour ça, il était prêt à tout. Qu'il aille au diable ! Avait-elle ragé.

Ensuite, après le départ de son époux, les choses avaient empiré. La comtesse savait déjà qu'autour d'elle certaines personnes espionnaient pour le compte du prieur, ce qui en soit la maintenait déjà dans un état constant d'anxiété. Mais ensuite, il y avait eu des menaces.

Elle s'était sentie seule et acculée et c'était pourquoi elle avait fait appel à son cher ami, François, le baron de Montmaur.

Son époux, Monsieur Jean-Jacques de Gruel était certes un homme aimable mais peu enclin à s'occuper de la gestion de ses terres. Dès le début de leur mariage, il lui avait d'ailleurs confié les rênes de ses domaines. Une chose rare à cette époque où généralement les épouses étaient cantonnées à la simple comptabilité domestique, ou à n'être simplement que des jolies choses inutiles.
Consciente que cette décision de son mari de lui laissait tenir son propre rôle avait choqué un grands nombres d'hommes de leur entourage, Marie-Gabrièle avait réellement respecté son époux, à défaut de l'aimer.
Elle avait découvert au fil des années de vie commune que ce dernier, d'un tempérament agréable et confiant, avait cependant peu de courage. Cependant elle lui gardait une tendre affection. Elle était donc consciente qu'il n'aurait pas les épaules pour faire face à l'intraitable religieux.
Son caractère introverti le poussait même à fuir les réunions mondaines et il ne se tournait vers le monde uniquement lorsqu'une découverte géographique enflammait les conversations des salons. Alors seulement, Monsieur de Gruel acceptait d'accompagner son épouse dans quelques boudoirs de la haute société pour se mêler aux courtisans, hommes de lettres mais surtout pour côtoyer des scientifiques auprès desquels il comptait glaner les informations sur les sujets qui l'intéressait. Comme par exemple le travail d'un certain Monsieur César François Cassini. Ce membre émérite de l'Académie des sciences et remarquable cartographe qui avait entrepris de compléter les recherches de ses prédécesseurs afin de rédiger une carte détaillée de l'ensemble du royaume. Les avancées de ces rapports cartographiques passionnaient tellement de Gruel que lorsqu'une nouvelle rédaction ou un nouveau tracé lui tombait entre les mains, il rentrait ensuite rapidement sur ses terres pour se cloîtrer dans son bureau. Il passait les mois suivants à la mise à jour de ses propres cartes sans plus se préoccuper de ses autres affaires, ni même du monde qui l'entourait. C'était d'ailleurs à cause de cette passion dévorante que l'homme était une nouvelle fois absent du domaine depuis quelques mois.

Les larmes du RocherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant