Chapitre 14

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Pèr uno fiho mal-countènto, recipè : dos o tres permenados
Pour une fille mélancolique, ordonnance : deux ou trois promenades
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Ariane et Léonore accompagnées de la comtesse dégustaient à présent des filets de volaille à la Bellevue. Elles avaient eu en premier service, un potage de laitue en chiffonnade accompagné de petits tourtons fourrés à la pomme de terre et aux épinards, une spécialité de la région.

Léonore ne savait plus trop où se mettre, elle voyait bien que les relations entre les deux femmes s'étaient détériorées et que l'ambiance était tendue. La dame de compagnie regardait tour à tour ses compagnes de déjeuner tout en veillant à rester silencieuse, attendant patiemment la suite des évènements.

Ariane et Marie-Gabrièle mangeaient sans avoir échangé un seul mot depuis le début du repas. Assies face à face, les deux femmes étaient toutes deux perdues dans leurs propres pensées.

- Nous aurions pu prendre notre repas dans le jardin, il fait si doux dehors. Tu aurais préféré ? Demanda gentiment la comtesse à la jeune femme tentant par là de briser la glace. Nous aurions joué aux courtisanes, rajouta-t-elle sur un ton empreint d'une légèreté trop appuyée.

Parfois elles s'amusaient à singer les comportements exagérés de certaines femmes qu'elles rencontraient dans les réceptions. Elles se moquaient gentiment des « précieuses ridicules » qui, comme dans la pièce satyrique de Molière, se déplaçaient avec un déhanché faussement prude, ou se pomponnaient outrageusement et battaient excessivement des cils. Minaudant à tout va en espérant ainsi attirer l'attention des hommes à leurs goûts.
Un jour, les deux amies avaient éclaté de rire lorsqu'Ariane avait mimé une ridicule dame d'un bon âge qui se déplaçait comme une timide jouvencelle. Cette dernière, lors d'une dégustation de chocolat chez Louis de Trians, le vicomte de Tallard, avait tellement reculée en faisant semblant d'être apeurée par l'homme qui la courtisait, qu'elle avait littéralement envoyé roulé boulé le serviteur qui se trouvait derrière elle. La dame, d'une bonne corpulence, avait poussé en arrière le malheureux qui s'était retrouvé assis sur les genoux du vicomte, les jambes en l'air. La scène somme toute burlesque fût toutefois moins comique lorsque la chocolatière que tenait le pauvre serveur bascula, déversant le liquide fumant sur les deux hommes. Brûlant au passage le serviteur sur le ventre et le baron à l'entre-jambes.

L'invitant ainsi à jouer à l'un de leur jeu favori, la comtesse souhaitait faire oublier à Ariane leur dernier échange. Et aussi pour se faire pardonner en détendant l'atmosphère. Bien que la jeune femme ne soit pas du style à bouder de manière ostentatoire, elle avait du caractère et savait se montrer froide et distante.

- Nous avons effectivement un beau printemps. Répondit Ariane sur un ton morne, en croquant du bout des lèvres une tranche de citron qui décorait son poulet.

Ne répondant pas à l'invite lancée par la comtesse, Ariane ne semblait donc pas prête à oublier la discussion. Elle fit la grimace lorsque l'acidité du fruit rencontra ses papilles mais se recomposa rapidement un visage dure.

Le goût piquant de l'agrume lui rappela les petites fleurs de printemps qu'elle avait un jour goûté avec Léonore, suite à un défi lancé par ses amies d'enfance au château de Montmaur. Peut-être en avait-il quelques-unes déjà écloses sur le petit muret en pierres du jardin ? Se demanda t-elle avec une pointe de nostalgie.
A l'évocation de se souvenir d'enfance, elle ne pût s'empêcher de penser à son frère. Se pouvait-il qu'Il soit réellement parti sans même l'informer ? Se questionna-t-elle pour la millième fois. La jeune femme tournait et retournait dans sa tête les mêmes interrogations qu'elle s'était posée lorsque Pietro et Mathieu leur avaient annoncé qu'il n'était plus avec ses hommes. Ariane avait aussi été irritée que Marie-Gabrièle lui parle comme à une enfant de dix ans devant eux. Mais à présent, elle bouillonnait intérieurement d'avoir découvert que son frère la traitait exactement de la même manière. Bien sûre, elle s'inquiétait pour lui mais son ego avait été froissé par l'attitude que ces deux-là avaient envers elle. Elle avait dix-sept ans, que diable. Pas dix ! Lâcha-t-elle intérieurement, en lançant un regard assassin à sa voisine.
Elle avait sans cesse repassé dans sa tête les dernières paroles de la comtesse. Consciente qu'une relation particulière liait son frère et cette dernière, Ariane avait à présent compris que cette dernière savait que François avait prévu de laisser ses hommes continuer la traque des loups, sans lui. Mais pourquoi ? Et pourquoi tant de secrets ? Lorsque que Pietro et Mathieu avaient avoué ne pas avoir vu le baron, la comtesse n'avait pas même feint la surprise, ni même l'inquiétude. Pourtant en temps normal, s'il à part elle-même, il y avait bien quelqu'un qui se souciait de son François, c'était sa belle amie Gabrièle. Alors où était allé son ingrat de frère et pourquoi ce deux-là ne l'avaient pas mis dans la confidence ? ragea-t-elle. Elle détestait être mise de côté.

Les larmes du RocherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant