Chapitre 6

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Qu a terra a guerra.
Qui possède a des conflits.
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L'esprit d'Ariane était encore plus confus alors qu'elle revenait vers le château.

Diable ! Qu'est-ce qu'il lui avait pris ? Elle avait agi comme une idiote écervelée, non seulement elle avait abordé deux parfaits inconnus, ce qui à la vue de leur carrure aurait pu être dangereux. Mais pour couronner le tout, elle les avait invités.

- Mais qu'avais-je donc en tête ? Maugréa-t-elle en secouant légèrement la tête.

Ces hommes n'avaient rien à voir avec la chasse. Ils n'avaient pas même croisé François ou bien ses hommes sur le chemin sinon ils n'auraient pas manqué de lui dire lorsqu'elle leur avait expliqué sa méprise. Alors qu'elle revoyait dans sa tête leur échange, elle se dit qu'ils ne semblaient même pas connaître son frère. Sur le coup, elle avait bêtement pensé qu'ils pourraient lui donner des nouvelles. Mais il était trop tard pour revenir en arrière.

-Quelle gourde ! Se dit-elle à voix haute en dépassant le mur d'enceinte.

Une jument alezane qui attendait patiemment son cavalier dans la cour, releva la tête et lui lança un regard mauvais, pensant que l'insulte lui était destinée.

Ariane entra dans la grande salle croyant trouver la comtesse en plein préparatifs et donnant ses directives au personnel afin d'accueillir au mieux son amie. Elle n'y trouva que La Salicon. Sa servante et confidente disposait les chaises à accoudoirs autour des petits guéridons, sur lesquels hôtes et invités dégusteraient le chocolat en fin d'après-midi. La comtesse Marie-Gabrièle aimait cette disposition qu'elle savait couramment pratiquée dans les salons de la marquise de Pompadour, Jeanne-Annette Poisson. Elle trouvait, à l'instar de la nouvelle favorite du roi, que les petits groupes formés autour des tables discutaient plus cordialement qu'autour d'une grande table à repas. C'était une coquetterie et un savoir-vivre qu'elle avait ramené de Paris, ici dans les montagnes.

Sans s'arrêter, Ariane se dirigea en direction du fond de la salle. La Salicon lui avait confirmé ce qu'elle pensait, à savoir que la comtesse devait se trouvait dans le bureau de son mari.
Monsieur recevait là ses visiteurs lorsque l'entretien nécessitait un certain degré de discrétion. Ce bureau contenait aussi sa bibliothèque et il y restait d'ailleurs souvent durant de longues heures, pour étudier ses précieux recueils de géographie. Cette pièce jouxtant directement la grande salle du rez-de-chaussée était deux fois moins spacieuse que cette dernière. N'ayant qu'une fenêtre de taille modeste, un candélabre brûlait en permanence pour garantir le bon éclairage du lieu. Malgré le risque qu'une flamme puisse toucher un des livres rares du maître des lieux, ce dernier avait l'habitude de demander que l'on lui en installe un second, lorsqu'il s'y attardait jusque tard dans la nuit.

La porte de bois fermée barrant l'accès au bureau, Ariane s'apprêta à frapper. Elle mordit légèrement sa lèvre supérieure alors qu'elle espérait que l'invitation qu'elle avait lancé aux deux voyageurs ne mette pas trop la comtesse dans l'embarras. Et ne la fasse pas passer pour une jeune fille irrespectueuse envers son hôtesse. Une invitation sans carton, pour une comtesse cela devait friser l'inconvenance ! Pensa-t-elle en grimaçant.
Elle suspendit le mouvement de bon bras lorsque qu'elle surprit des éclats de voix étouffés. Une vive discussion lui arrivait par brides, assourdie par l'épaisseur de la porte massive. Elle ne put comprendre le sujet de la discorde, mais la jeune femme fut interloquée par le ton véhément sur lequel la comtesse et un homme s'invectivaient. Cela n'avait rien d'amical.

La porte s'ouvrit violemment et le prieur de Saint-Laurent, le visage dur et fermé, sortit vivement du bureau, la repoussant au passage contre le mur. Ariane fit instinctivement un pas sur le côté pour s'éloigner, surprise par l'intensité du regard de l'homme d'église. Elle y vit une haine froide.

Les larmes du RocherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant