————
Es riche quau pou, urous quau saup, sage quau vou
Est riche qui peut, heureux qui sait, sage qui veut.
————Après avoir parcouru cinq lieues en suivant les indications qu'avait donné l'aubergiste au gourmand soldat, les deux hommes avaient pris la route de Neffes. Au croisement des routes entre le village de Tallard et la ville de Gap, ils avaient bifurqué vers l'ouest et montaient maintenant sur le chemin menant à la vieille chapelle romane de Saint-Laurent. Cet édifice typiquement provençal datant du onzième siècle était le plus vieux monument religieux du coin et jouxtait le village dans lequel les deux voyageurs souhaitaient se rendre.
Empruntant un pont de pierres traversant la rivière le Rousin, ils se dirigeaient vers l'embranchement du petit village perché de Fouillouze. Autour d'eux se trouvaient des champs encore non semés à cette période de l'année. La plupart produiraient toutes sortes de cultures communes de légumes amis surtout des céréales comme le blé ou du seigle pour les hommes et aussi de la luzerne pour les troupeaux. Quelques autres champs plus rares, étaient réservés au tournesol. Ces cultures plus rares ici serviraient à la fois pour l'huile mais aussi pour la teinture comme dans les régions du Sud-Ouest. Avant les récoltes de leurs précieux grains, les fleurs à larges corolles jaunes se tourneraient toutes à l'unisson vers le soleil, tels une armée de petits soldats alignés en rangs parfaits.
Les voyageurs laissèrent le torrent du Baudon sur leur gauche, long serpent d'eaux boueuses entouré de hauts frênes et de saules, pour prendre le chemin qui montait tranquillement en direction du hameau des Parots. Quelques plantations d'arbres fruitiers longeaient la route, poiriers et pommiers. Bien qu'il n'y avait aucuns fruits à ce moment-là de l'année, les innombrables petites grappes de fleurs blanches ou roses accrochées aux branches prédisaient leurs maturités futures. Dans les villages situés plus haut sur les montagnes comme celui de Sigoyer-du-Dô, les deux hommes savaient que même ces fragiles fleurs ne seraient pas encore apparues sur les arbres dénudés. De fait, sur les hauteurs, l'hiver avait tendant à s'accrocher encore quelques temps, comme si par fierté. Ce dernier refusait de laisser sa place aux beaux jours. Ici dans cette vallée, la multitude de fruits juteux seraient ramassés jusque tard avant l'arrivée de l'automne et si Dieu y concédait, les fructueuses récoltes des environs viendraient garnir toutes les celliers de Provence.
L'ascension vers le village de Sigoyer-du-Dô, jusque-là somme toute facile, se fit plus raide après avoir passé un minuscule pont enjambant le Boujac, petit bras d'un des multiples torrents qui serpentaient dans le coin. L'étroit chemin entouré de sous-bois montait à présent abruptement et formait une succession de courbes serrées sur lesquelles hommes et montures avançaient lentement.
Les premiers épicéas et pins noirs, très présents dans la région, firent leur apparition et accompagnèrent les voyageurs lors de leur passage sur les moyens pâturages. Les frênes, chênes et autres arbres de sous-bois étalèrent leur ombre protectrice sur les têtes des hommes, tout le long de la pénible montée.
Mathieu et Pietro avaient convenu de mettre pied à terre pour épargner leurs chevaux qui avaient déjà parcouru pas mal de route depuis le début de leur périple. Marchant à côté d'eux en les tirant par les rênes pour les motiver à grimper les virages en lacets, les hommes avaient contemplé un paysage typique des Alpes. Des larges étendues de pâturages se mélangeaient à des champs vallonnés et créaient une toile où les camaïeux de verts, de jaunes et de bruns offraient un nuancier harmonieux. Les troupeaux de vaches, moutons copinant avec quelques chevaux et mulets rajoutant de-ci et de-là quelques touches de couleur pour égayer le tableau. Les rares hameaux qu'ils croisèrent, composés uniquement de quelques maisons regroupées, se dressaient tels des ilots de pierres égarés au milieu d'une mer de vagues végétales ondulant sous le vent printanier. Au loin, les plus hautes montagnes d'un gris foncé découpaient le ciel telles de redoutables dents minérales laissant apparaitre les arêtes blanches des dernières neiges. Les plus petits sommets d'un gris plus clair, disparaissaient parfois dans le ciel lorsque les nuages s'attardaient sur leur hauteur.
VOUS LISEZ
Les larmes du Rocher
Fiksi SejarahEn ce début de printemps, dans un village des Hautes-Alpes du dix-huitième siècle déjà bien éprouvé par les dernières sanglantes guerres de religion, vont se mêler désir, peur, cupidité ou encore folie. Au sein de cette terre, les destins croisés d'...