Chapitre 17

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Lou matin es paire deì misteri, la nuech maire dei pensié.
Le matin est père des mystères, la nuit mère des pensées.
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- Ariane, je t'en prie. Arrêtons-nous un moment, mon dos me tourmente trop, supplia Léonore.

- D'accord, d'accord... Mais à une condition, cesse de te plaindre, concéda la jeune femme légèrement irritée.

Les femmes étaient parties que depuis une heure à peine que la dame de compagnie s'était mise à gigoter maladroitement sur son cheval. Léonore se penchait en avant toutes les minutes pour soulager son dos, ce que la monture prenait pour une invitation à accélérer le pas. Elle se relevait alors prestement en tirant les rênes pour le faire ralentir, avec un « Oh » apeuré. La jument n'y comprenant plus rien piaffait et secouait la tête nerveusement. Au début, cela avait fait rire Ariane, mais maintenant ce manège l'agaçait franchement. On avance comme deux tortues, rageait-elle intérieurement.

Il est vrai qu'elle a plus l'habitude du carrosse, pensa-t-elle quand elle avait tourné la tête vers son amie, en lui lançant un regard compréhensif. Léonore était en fait une piètre cavalière.
Prenant pitié pour elle, Ariane décida donc d'une pause.

- Déjeunons, veux-tu ? Nous reprendrons ainsi des forces.

- Dieu merci, souffla Léonore.

La journée était belle et chaude, l'été arrivait à grand pas. Les deux femmes avaient étendu une couverture dans un champ de luzerne situé en contre-bas de la route. Un peu partout, les fines corolles des coquelicots d'un rouge écarlate contrastaient avec le vert de l'herbe tendre. Ici, au bas de la pente de la montagne, les couleurs étaient plus vives, le printemps avait presque cédé sa place à la chaude saison. Tandis que là-haut, à Sigoyer-du-Dô, l'hiver semblait vouloir s'accrocher encore un petit moment à la haute falaise de calcaire.

Elles mangèrent rapidement sans échanger un mot, elles dévorèrent même. L'appréhension d'être découverte par la comtesse alors qu'elles étaient encore aux écuries du château avait perduré un long moment après qu'elles se soient éloignées du village. Ensuite, les cavalières s'étaient lancées sur la route de Pelleautier dans un bref galop, riant toutes deux de leur audace.

Ariane repensait à leur départ en mastiquant machinalement une tartelette aux prunes, le regard perdu dans le vide. A côté d'elle, Léonore s'était adossée au tronc de l'arbre, les jambes étendues devant elle, pour détendre sa colonne vertébrale. Elles étaient parties très tôt et la chevauchée avait vidé leurs forces.
Autour d'elles, une multitude de criquets frottaient leurs minuscules pattes en un crissement régulier et reposant. Les rayons du soleil qui traversait les branches de l'arbre sous lequel elles s'étaient abritées créaient un jeu d'ombres et de lumières se mouvant en un lent ballet dirigé par la brise. Elles s'endormirent.

Ariane se redressa brusquement, ne sachant plus trop où elle se trouvait. Une petite sauterelle avait sauté sur sa joue et l'avait réveillée. Surprise, elle chassa l'intruse d'un geste de la main et se releva difficilement, tant les muscles de ses jambes étaient raides. Légèrement déboussolée, la jeune femme pris le temps de détailler les champs et les montagnes qui lui faisaient face pour reprendre ses esprits.

- Je reviens, j'ai besoin d'un coin tranquille. Dit-elle à sa compagne pour la réveiller à son tour.

Toute courbaturée, elle se dirigea d'un pas mal assuré vers un petit sous-bois situé un peu plus bas dans le champ. Les quelques arbustes la cacheraient de la route si un éventuel voyageur devait passer pendant qu'elle était à sa petite affaire.
Elle releva ses jupons et tenta de trouver l'équilibre sur le sol en pente.

Les larmes du RocherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant