Chapitre 9

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De qu mi fidi garde-mi Diéu, de qu noun mi fidi-mi garderai iéu.
En qui je me fie garde-moi Dieu, en qui je ne me fie pas je m'en charge.
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Au dernier son de cloche annonçant les mâtines, le petit convoi sortit du village et emprunta le chemin de terre les menant au col des Guérins.

Sous un ciel nuageux, Mathieu et Pietro chevauchaient côte à côte, précédés de Gaspard qui marchait d'un pas allègre. La comtesse lui avait poliment proposé une monture mais ce dernier ne sachant pas comment s'y prendre avec ces bêtes-là, lui avait expliqué qu'il irait plus vite à pied. De fait, chaussé de ses solides sabots de bois, il trottait aussi vite que les chevaux.

L'air était chargé d'humidité et Mathieu priait intérieurement pour qu'il ne se remette pas à pleuvoir comme durant la nuit précédente car les averses printanières étaient connues dans la région pour être conséquentes et pourraient effacer toute trace de passage en quelques jours.
Les bourrasques de vent qui venait du col leur apportait les odeurs de cendres froides du récent incendie qui avait ravagé la moitié de la végétation de Seuzette. Le feu déclenché par les paysans, quelques jours plus tôt, devait être à présent éteint. Enfin c'est ce qu'espéraient les hommes car si les flammes devaient reprendre, cela leur compliquerait forcément la tâche. Mathieu pensait que cette solution de « terre brulée » avait certes éloigné un temps les loups mais pas pour toujours. Et les obligeraient eux à pousser la traque plus loin, si un nouveau feu viendrait les effrayer. C'est ce qu'avait peut-être été obligé de faire le baron d'ailleurs.

- Regardez là-haut ! Au niveau du trou d'la falaise, y'a un passage direct vers la forêt, cria fièrement Gaspard, le bras tendu en direction de la paroi rocheuse de Seuze.

Les trois hommes étaient arrivés à mi-chemin entre le village et les premiers arbres de la forêt et ils faisaient face à la longue barre rocheuse de la montagne de Seuze. En la détaillant, Mathieu et Pietro remarquèrent effectivement que la dépression en forme de demi-lune semblait se trouvait pile au milieu de la largeur de la montagne. Le sommet culminait à presque sept milles pieds*. Il était plutôt plat et cette singulière particularité géologique lui conférait une silhouette qui se différenciait des très hautes montagnes en dents de scie qu'on distinguait au loin. Néanmoins, cette large falaise de roche lisse conférait à ce sommet une allure impressionnante. Cette montagne se dressait face à eux, tel un mur infranchissable.

La route vers la forêt, d'une pente régulière, faisait de larges lacets entre lesquels les trois hommes croisaient quelques fermes éparpillées de-ci et de-là. Les rares bâtiments étaient entourés soit de champs cultivés, soit de larges étendues de pâtures dans lesquelles des troupeaux de vaches paissaient tranquillement sans leur accorder le moindre regard.

Malgré le temps couvert, ce paysage sauvage dégageait une sérénité toute biblique. Outre les zones cultivées, la nature ici ne semblait pas avoir beaucoup changé depuis que les premiers hommes s'y étaient installés, ce qui donnait au lieu un aspect paisible et rassurant.
Les teintes des arbres étaient assombries par l'humidité ambiante. Au loin, sur le flan de la montagne, les pins et les épicéas semblaient plus denses et feuillus. Les branches des saules, chênes et autres frênes, près du ruisseau que les hommes longeaient, se soulevaient au rythme du vent en dévoilant leurs reflets verts et argentés. La musique créée par la multitude de feuilles se mouvant de concert avec la brise suivait une partition millénaire et offrait le même son immuable qui avait dû être entendu depuis l'origine des temps.
Ici, le brun de la terre que les hommes bêchaient pour les futurs semis semblait ici aussi plus dense et plus riche. Et les odeurs de terre et d'herbe, exacerbées par l'humidité de l'air, semblaient vouloir apporter leur propre donation à la beauté du paysage.

Les larmes du RocherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant