GIULIA
Il pleut.
La joue écrasée contre la vitre de l'observatoire, je regarde la pluie s'égoutter du ciel comme si le monde n'avait jamais connu son taux de déluges. L'eau déroule sur les charnières en bois et sur le verre, pour s'infiltrer dans la boue des immenses étendues de fleurs qui s'étendent pour le bien-être de la faune que nous observons ici. Quand il fait beau, cet endroit est un véritable paradis à papillons et abeilles.
Mais quand ce n'est pas le cas...
— Giulia, tu avais dit que tu allais m'aider.
La voix forte d'Alyona Andreyovna m'atteint depuis l'alcôve principale et parvient tout juste à me faire relever la tête. Les grands pins qui surplombent les collines d'Arkan m'ont davantage subjugué que la tâche que j'étais initialement venue exécuter :
Aider ma patronne à récolter les cocons formés par les Monarques lâchés deux semaines plus tôt.
Je soupire alors lourdement, relâche ma jambe et me laisse glisser au sol afin de regagner Alyona, agenouillée sous une grande table en bois. Munie de gants délicats et d'une boîte pourvue de grandes feuilles de bananiers, la doyenne russe grogne à chaque fois qu'elle n'arrive pas à retirer les futurs papillons.
Mais si elle parait grossière, je sais qu'il n'y a pas une personne avec qui j'aimerais être en ce moment-même... Pourtant, Alyona a la réputation d'être la plus désagréable de tout le complexe d'observation d'Arkan University. À l'apparence stricte, avec son chignon bas serré qui lui fige ses yeux froids, sans oublier son indémodable pull gris, Alyona vous indique tout de suite qu'elle n'est pas la scientifique la plus amicale dans ces couloirs.
Toutefois...
Quand deux ans auparavant, j'ai débarqué ici avec un diplôme en biologie à peine décroché, une très mauvaise expérience sur le terrain et une sale tendance à répondre quand on me faisait un reproche, elle m'a tout de suite prise sous son aile. Nous avons passé plusieurs mois à nous disputer et à nous insulter, jusqu'à ce qu'un beau jour, nous avons toutes les deux réalisé à quel point c'était notre façon de dire que nous ne pouvons plus supporter aucune autre présence humaine... Excepté la nôtre.
Alyona Andreyovna n'aime de la vie que les papillons de son secteur d'observation.
Et ça tombe bien...
Moi aussi.
— Il ne devrait plus y en avoir beaucoup, rumine-t-elle à bout de souffle. Mais je pense que je viens de trouver la source principale... Il devait faire suffisamment obscur pour qu'ils viennent tous ici.
Sans me regarder, elle tend la main dans ma direction et dans sa paume figurent en effet cinq cocons de Monarque, délicatement retirés pour les emmener en observation et élevage. Les lumières thermiques de l'alcôve en verre reflètent leurs nuances et c'est avec un léger sourire que je devine déjà l'éclat de leurs futures ailes.
Y'a-t-il quelque chose de plus beau qu'un papillon ?
— Avec ceux-là, nous sommes déjà à...
— 623 cocons, complète-t-elle en se redressant enfin, les joues teintées de rouge.
— Avec autant de papillons cette année, le recensement sera fructueux.
J'attrape un stylo dans ma poche et m'apprête à le noter dans un carnet à la couverture déchirée quand ma patronne lance :
— Les chrysalides seront écloses pile à temps pour l'arrivée de la classe d'Etton Academy, d'ici à deux semaines. Voilà quelque chose que l'on pourra montrer aux élèves avant qu'ils ne se mettent à bailler dans mes couloirs.
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Once, We Flew.
Romansa1986 : Gaslight Fields, Texas. Un fermier fou. Des cages remplies d'enfants. L'odeur de la mort. Le bruit des pelles qui retournent la terre. Les cadavres. Tous ces cadavres... Giulia Matip, l'une des seules survivantes du massacre, n'a jamais su...