3. L'ornithorinque

104 10 22
                                    

Perry arrivait au collège dès l'ouverture du portail en même temps que les élèves studieux... Comme il n'entendait pas, il se faisait souvent bousculer alors il avait pris l'habitude de longer les murs pour éviter les foules. C'est ainsi que chaque matin, il marchait le long du mur en crépit jusqu'à l'endroit préféré de Doof. Là, il se laissait doucement glisser jusqu'au sol et guettait l'arrivée de son camarade. Lui, très en avance, l'autre, presque en retard. Leur rituel s'était installé au fil des semaines, sans prévenir jusqu'à devenir une routine.

Perry n'était pas le plus attaché aux habitudes, loin de là, il aimait l'action et les imprévus mais il prenait soin de les respecter depuis qu'il avait vu l'air complètement perdu de Doof dès qu'il retirait son chapeau. C'était comme s'il devenait quelqu'un d'autre, soudainement... en tout cas, Doof devenait incapable de le reconnaître alors il faisait attention de ne jamais sortir du cadre pour ne pas le perturber. Et de garder son chapeau en toute circonstance même si ce simple accessoire mettait parfois les gens mal à l'aise, surtout à l'intérieur des bâtiments et dans les salles de classe.

Bizarrement, c'est Doof qui avait enfreint la règle, ce matin-là... il l'attendait au pied du mur en serrant un épais bouquin jaune et noir contre lui, dans ce coin qui était devenu le leur. Perry pencha sa tête pour lire le titre, les caractères blancs étaient cachés par sa veste elle-même blanche mais il distinguait la fin : "pour les nuls" alors il fit une moue car il ne savait vraiment pas ce que ça signifiait. Heinz Doofenshmirtz mettait toujours le même col roulé noir avec cette blouse blanche qui lui donnait l'air d'un savant fou surtout avec ses cheveux en pétard et si vous vous demandez pourquoi il mettait ce genre de vêtements, Perry risquerait d'esquisser un sourire narquoi. Lui-même avait compris, le jour où ils avaient échangé leurs prénoms dans la paume de leurs mains : son camarade était un artiste et s'il aimait peindre alors il devait protéger ses vêtements puisqu'il les mettait tous les jours. Disons juste que pour lui, le temporaire devenait définitif.

Ainsi, comme chaque matin, Perry sortit son petit calepin qu'il remplissait de plus en plus avec leurs conversations et alors qu'il cherchait la page "Bonjour comment vas-tu ?" qui se situait quelque part au début de ses feuilles, Doof agitait sa main. Il le regarda et sursauta. Une main ouverte à plat et posée contre ses lèvres, il le saluait en écartant sa main vers lui. C'était le signe pour dire bonjour ! Il ne lui avait jamais montré... mais alors ?! Perry s'empressa de l'imiter et naturellement, il lui demanda comment ça allait en haussant légèrement ses épaules tout en agitant ses doigts. Il se figea, hésitant. Est-ce que mon interlocuteur me comprend ? C'était l'une des questions qu'il se posait le plus en dehors de son foyer. Il patienta, son cœur battait la chamade sans aucune raison valable. Le grand brun plia plusieurs fois l'indexe et son majeur des deux mains vers lui pour lui répondre : // ça va // La sensation que Perry ressentit était un frisson difficile à décrire.

Ils passèrent à une conversation plus profonde par écrit, Doof commençait chaque journée par lui décrire l'avancement de son grand plan : la construction de Doofania, une ville à dominer soi-même. Il dessinait des plans puis passait aux maquettes... souvent, son petit frère Roger détruisait ses maquettes alors il améliorait les plans pour la suivante. Depuis quelques temps, il passait une partie de ses nuits à décrire le moindre détail dans les marges de ses devoirs pour Perry et il arborait en même temps des cernes violacées sous ses grands yeux bleus. Ce dernier ne lui avait jamais dit que ses devoirs étaient faux ni que son écriture était illisible... pour tout dire, il était encore en train de déchiffrer la première page, celle qu'il lui avait donnée à la fin de leur première semaine de cours.

Quand Madame Camilichec pointa le bout de son nez pointu pour accompagner les élèves jusqu'à la salle de mathématiques, Doof pris une large inspiration. Il n'osait pas considérer Perry comme un ami... jusqu'ici, il l'appelait plutôt son "camarade privilégié". Ce n'était pas par manque d'intérêt mais par crainte. Il n'avait jamais eu d'ami alors il ne savait pas comment s'y prendre. Demander, sans doute. Sauf qu'il avait beau y penser jour et nuit, il n'avait jamais réussi à l'écrire. Dans un espoir ridicule, il avait appris les signes... restait plus qu'à attendre un moment de folie. Pourquoi pas maintenant ?!

SIGNESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant