7. La famille Doofenshmirtz

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La famille Doofenshmirtz avait quitté l'Allemagne suite à de gros problèmes d'argent. Pendant quelques années, Heinz avait aidé du mieux qu'il pouvait dans leur boutique de nains de jardin, c'était un employé de moins à rémunérer et bientôt, il fut le seul à tout gérer malgré son jeune âge. En fait, il était tellement petit qu'il n'atteignait pas le comptoir et les clients le prenaient même pour l'un de leurs fameux nains de jardin ! Rien de tout ceci n'était très légal, il n'avait que sept ans et il y travaillait chaque jour si bien qu'il fut obligé de repasser sa deuxième année*. Sans doute aurait-il aussi dû redoubler la troisième* si certains adultes ne s'étaient pas inquiétés de la situation. Il s'en était tiré avec un rendez-vous chez un psychologue qui déboucha après quelques mois sur de nombreux examens. Après une année entière à enchaîner les rendez-vous, Heinz Doofenshmirtz fut diagnostiqué "autiste" et il épargna sans le savoir ses parents d'une enquête approfondie. Sans doute auraient ils pu rester en Allemagne quelques années supplémentaires si Roger n'avait pas commencé ses plans vers son plus grand rêve : devenir le Président des Etats-Unis (rien que ça)... la 1ère étape avait échouée ce qui les avait poussé à vivre quelques mois en France avant qu'il ne tire quelques ficelles de plus. Ainsi, la petite famille avait traversé l'Atlantique et même si Roger avait visé New-York, il avait dû accepter leur situation financière qui les avait conduit à Danville pour commencer une nouvelle vie.

"Bewegen sie nicht !" s'écria Helmut Doofenshmirtz en cette matinée de Novembre.

Heinz sautillait devant lui pour tenter d'enfiler le cartable qu'il avait bricolé lui-même en attachant deux lanières à l'un des anciens sacs de golf de sa mère pour en faire un sac-à-dos. L'une de ses chaussures était lassée et l'autre... c'est compliqué. Disons que ça expliquait pourquoi il n'arrêtait pas de sauter dans le couloir ridiculement étroit entre la cuisine et la porte d'entrée. Helmut n'était pas du genre à aimer qu'on secoue quelque chose devant ses yeux, le matin, pas avant la quatrième tasse de café même si la chose en question était son fils aîné. De toutes les manières, il préférait le chien à ses deux enfants et il ne considérait même pas Heinz comme son fils, plutôt une chose qu'on aurait posé chez lui un matin et qu'il n'avait pas le droit de jeter aussi sautillant et bavard soit-il.

"Bewegen sie nicht, Heinz." répéta-t-il.

"Je vais être en retard..." informa le concerné en anglais car son père comprenait et parlait très bien l'anglais même s'il aimait prétendre le contraire.

Hésitant, il observa quelques secondes son petit-frère Roger qui mangeait un petit-déjeuner royal pendant que lui se débattait avec Fils Unique, le chien que ses deux parents avaient ramené dont-ne-sait-où quand ils vivaient encore en Allemagne pour l'humilier en proclamant que le canidé était leur seul fils, désormais. Heinz était bien incapable de dire qui de Roger ou du chien avait rapporté le plus de trophée à la famille Doofensmirtz. Il avait essayé tant bien que mal d'être à la hauteur de leurs espérances et il avait un talent indéniable pour le dessin ou l'écriture de poème mais sa mère Albertine ne jurait que par le football, français de préférence même si Roger venait d'intégrer une équipe de football américain. L'aîné de son côté manquait cruellement de coordination. Comme il n'avait jamais ramené de trophée à la maison, il n'avait pas le droit de monter dans la voiture familiale. Alors il quittait l'appartement chaque matin aux aurores pour traverser la moitié de Danville à pied... parfois, il arrivait avant la fermeture des grilles mais c'était quand il ne devait pas se battre avec le chien qui aimait particulièrement mâchouiller ses affaires.

"Donne-moi ma chaussure." négocia-t-il.

"Grrr..."

"Roger, tu peux me passer du bacon ?"

Le concerné ne pouvait pas dire qu'il manquait de coordination, ce serait un mensonge et il n'avait pas besoin de mentir pour atteindre son objectif dans la vie : devenir le Président des Etats-Unis (oui, encore mais il était du genre têtu). Il lança une tranche de bacon sur le pied de son frère pour mieux regarder Fils Unique mordre ses orteils... il avait fait exprès, bien sûr mais c'était amusant, n'est-ce pas ?

"Notre père t'a dit de ne pas bouger, Heinz mais tu n'écoutes jamais... jamais." soupira-t-il comme pour taper sur un clou qui était déjà sacrément bien enfoncé.

Heinz déplia son index et son majeur comme pour signer la lettre U avec ses deux mains qu'il frappa l'une contre l'autre devant son visage. Roger le regarda d'un air circonspect... lui qui avait tant de réparties habituellement se retrouvait démuni face à cet énorme imprévu. Est-ce que son grand frère lui faisait un signe comme pour parler avec son ami Perry ? Quoiqu'il soit en train de lui dire, ça avait l'air de franchement l'amuser s'il se fiait à l'immense sourire qui barrait son visage et Heinz profita même de la confusion générale pour s'éclipser.

"Reviens ici, on ne bouge pas... père t'a demandé de ne pas bouger !!!"

"Das ist gut." tempéra le père en question, ce qui signifiait quelque chose du genre 'ça va'.

"Das ist... pas gut du tout."

Roger activa les rouages de son plan finement élaboré bénissant Amazon qui lui avait permis de recevoir cinq vuvuzela pour un prix dérisoire... sans doute que la qualité du son n'était pas au rendez-vous mais ça n'était pas vraiment comme si ce détail l'importait réellement. Il avala son petit-déjeuner en un temps record, aida sa mère à amorcer l'amoncellement de haine dans l'évier (c'est ainsi qu'elle appelait la vaisselle entassée depuis plusieurs jours) puis il secoua les clefs de la voiture pour lui demander de s'activer.

"Tu es un fils tellement merveilleux !" dit-elle avec un fort accent français car elle n'était pas douée en langues étrangères comme la plupart des français.

"Oui, oui, je sais..." pressa-t-il. "Bouge, je veux vraiment arriver tôt !"

Il avait toujours pris le soin d'arriver avant son frère aîné ce qui n'était pas compliqué au vu des circonstances mais il n'avait jamais pu devancer Perry si bien qu'il commençait à penser que ce parasite faisait partie des meubles ou qu'il dormait quelque part entre le self et les salles de classes. Dans cette partie de la ville assez pauvre, les voitures étaient rares car les gens privilégiaient les transports en commun mais plus ils se rapprochaient du centre et plus les routes s'encombraient. C'était bien sa veine !

"Mets-moi Waze !" réclama-t-il.

"Je n'ai pas Waze... j'ai Charles Aznavour ou Jacques Brel." répondit sa mère.

"Ce n'est pas... ARGH !"

Agacé d'être à l'arrêt et de ne pas voir la fin du bouchon, Roger se dit qu'il n'était pas l'un des plus jeunes joueurs à avoir rejoint l'équipe des Geckos pour rien alors il ouvrit la portière de la voiture sans prêter attention au livreur de pizza qui dérapa sur plusieurs mètres pour éviter un carambolage... il attrapa son sac-à-dos, claqua la portière et s'en alla avant de revenir sur ses pas. Heinz était peut-être un fils et un frère indigne mais ça n'était pas son cas. Il n'allait pas quitter la famille sans regarder en arrière comme l'autre malpropre !

"Passe une agréable journée, à ce soir."

"Oh, Roger... comme tu es gentil."

"Ouais, ouais. Je sais." et sans doute son message aurait-il pu paraître honnête s'il n'avait pas claqué sa langue sur son palais d'un air agacé.

INFORMATION :

En Allemagne, la 2ème année correspond à peu près au CM1 (la deuxième classe du primaire) mais on y entre à 7 ans... les enfants de 8 ans sont en 3ème année. Aussi, dans la série Phinéas et Ferb, le père d'Heinz parle en allemand alors j'ai repris les phrases du dessin animé. S'il y a des erreurs, ce ne sont pas les miennes (je ne parle pas allemand).

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