SIGNES

8. C'est une merde

"Pavane autant que tu le veux... tant que tu le peux, frangin." menaça Roger qui avait mis en péril son comportement exemplaire juste pour avoir le loisir de glisser son avertissement avant les cours, quitte à arriver en retard.

Doof passa devant lui sans le voir du moins, c'était tout comme. Il agitait ses bras très haut dans un moulinet désordonné en filant droit sur Perry qui était plongé dans une discussion animée avec son Assistant de Vie Scolaire, Karl. Le plus grand s'arrêta tout près d'eux puis il passa une main dans ses cheveux, il faisait souvent ça quand il était perplexe et il n'eut pas le temps d'être suffisamment gêné pour commencer à jouer avec les fils blancs qui pendaient de sa blouse. Il décrypta le mot // matin // qui mimait un lever de soleil et se demanda si c'était comme ça que Perry percevait le monde : une bouillie incompréhensible dont il pouvait extraire quelques mots à l'occasion.

Karl remarqua Doof et il lui dit // bonjour // d'un geste bref avant de saluer les deux garçons d'un // au revoir // en agitant horizontalement sa main puis il les laissa en se décalant légèrement, ne souhaitant pas trop interférer dans leur relation. La sonnerie ne tarda pas à retentir pour annoncer le début des cours... ils étaient en retard. Doof pointa l'étage où ils avaient cours, Perry hocha la tête pour confirmer et les deux garçons s'élancèrent dans les escaliers avec quelques retardataires. Heureusement pour eux, ils avaient cours de littérature et Monsieur Drako était à la fois leur enseignant préféré et celui qui brillait le moins par sa ponctualité. Ils traversèrent le couloir qui se vidait avant de s'installer à l'écart du groupe pour permettre à Doof de signer confortablement... il avait l'air timide avec ses petits gestes mais il était plus maladroit qu'autre chose, il avait réussi à envoyer deux camarades à l'infirmerie.

Les semaines qui passaient amenaient le froid mais aussi une meilleure connaissance de la Langue des Signes pour Doof... même s'il restait sur des mots basiques et des phrases simples, ses gestes étaient plus précis. Il venait de mémoriser les 32 configurations de main même s'il avait parfois du mal à identifier les positions des doigts de Perry. Aussi, il confondait sa gauche et sa droite depuis qu'il était tout petit et c'était déjà handicapant dans sa vie quotidienne mais pour signer, c'était pire. Même si Perry l'aidait beaucoup, le fait qu'ils soient droitiers tous les deux n'arrangeait rien car Doof était un solitaire et il préférait apprendre dans un miroir. Combien de fois s'était-il rendu compte qu'il signait à l'envers depuis des jours et qu'il avait corrigé son signe avec beaucoup de mal pour le refaire à l'envers, en fin de compte ?!

Perry posa sa main dominante sur son menton puis il envoya son signe vers l'avant pour saluer son ami qui lui renvoya le même signe avant de plier légèrement ses deux doigts.

// Bonjour // signa Perry.

// Bonjour // répondit Doof. // Ça va ? //

// Oui //

Parfois, Perry hochait la tête car c'était le meilleur moyen de se faire comprendre par les gens mais la plupart du temps, il vrillait deux fois son poignet en formant un O avec son pouce et son indexe : // oui // faisait désormais partie des signes que Doof comprenait couramment.

Ce dernier ne connaissait pas encore tout l'alphabet dactylologique car ça n'était pas très utile dans la vie de tous les jours mais il savait épeler Perry et Doof, c'était un minimum. Il avait vérifié comment signer la lettre G pour pouvoir parler de son frère Roger qui était un sacré connard, parler de lui était cathartique. Ainsi, il croisa son indexe et son majeur vers l'extérieur pour former la lettre R puis il ferma sa main pour former un O. Ensuite, il suivit les instructions de Perry qui lui avait expliqué que le G venait du signe anglophone pour le mot // gun // alors il leva l'indexe et replia légèrement son pouce comme pour mimer un pistolet. Il hésita un instant car il avait toujours eu du mal à former la lettre E... il replia tous ses doigts en se disant que Perry finissait souvent par comprendre l'idée générale même s'il était assez maladroit et il conclut ce mot comme il l'avait commencé en croissant l'indexe et le majeur R en ce demandant si ça n'était pas plus simple d'apprendre le mot "frère".