Je soupire en reposant ma guitare à sa place. Ça fait des heures que je travaille sur cette nouvelle partition, sans succès. Il manque quelque chose à ce morceau. Je le sens. Pourtant, pas moyen de trouver les bons accords qui compléteraient à merveille cette partition. Mais pour l'heure, je crois qu'une pause est de rigueur.
Je me dirige vers la cuisine et me prépare un café, quand j'entends la porte d'entrée s'ouvrir et se refermer, avant que le claquement de talons des chaussures de ma petite amie se rapprochent.
— Reid ?
— Dans la cuisine, lui indiqué-je en soupirant.
Je pensais qu'elle mettrait plus de temps à se promener. Mais je dois me rendre à l'évidence que c'est l'heure à laquelle elle rentre de Dublin. J'aurais préféré qu'elle y reste un peu plus longtemps pour que je puisse continuer d'être en paix.
— Je ne sais pas si tu as remarqué, mais nous avons une nouvelle voisine !Correction. J'ai une nouvelle voisine.
Nous sommes ensemble depuis six mois maintenant. Mais elle s'est installée chez moi au bout de trois mois, perturbant mes habitudes. Elle est comme ça. Elle est intrusive et essaye d'attirer l'attention. Mais je ne peux pas lui en vouloir. Elle a toujours été comme ça. Et personne ne l'a empêché de l'être en lui mettant des barrière.
— Une nouvelle voisine ? m'étonné-je cependant.
— Oui. Elle est arrivée ce matin, apparemment. Elle s'est installée dans la propriété d'en face. Et si je ne me trompe pas, elle n'est pas seule.
Je hausse un sourcils en prenant une gorgée de café. Je vais peut-être pouvoir discuter avec son mec plutôt que de passer mon temps qu'avec ma copine... C'est une bonne nouvelle.
— Ah bon ?
— Oui. D'après les rumeurs qui traînent dans le village, elle s'est installée avec son fils.Pas de discussions avec un autre mec, donc.
— Et il semblerait qu'elle soit française.
Tu m'en diras tant...
— Je me demande pourquoi elle toute seule ici avec son fils. Il doit avoir un père... tu crois qu'elle se cache de lui ?
Je fronce les sourcils en soupirant. C'est bien le style d'Erin d'écouter les ragots et de contribuer à les répandre.
— Je ne sais pas. Mais je crois que si elle s'est installée en face de chez moi — je mets un point d'honneur à appuyer sur me mot « moi » — au lieu de rester en France, ça doit vouloir dire qu'elle veut de la tranquillité... Tu ne crois pas ?
— Tu crois qu'elle est célèbre comme nous ? Elle doit être riche pour vivre dans cette baraque.
Je grince des dents en lui tournant le dos et prends une nouvelle gorgée de café en regardant en direction de la propriété d'en face. Je vois alors les phares d'une voiture traverser le chemin et s'éloigner de la maison avant de disparaître dans l'obscurité.
Il est possible que ce soit une célébrité. Après tout, beaucoup d'entre nous choisissent de s'installer dans des coins perdus comme Mullingar, dans l'espoir de prendre une retraite tranquille. Dans les campagnes Irlandaises, les gens respectent la tranquillité des uns ou des autres. Nous nous respectons entre nous. Enfin... quand il n'y a pas parmi eux, une fouineuse comme Erin.
— Je pense que je vais aller la voir pour me présenter, suggère Erin en me rejoignant pour attraper une tasse dans le placard. Qui sait ? Je vais probablement me faire une nouvelle amie. Elle n'aura qu'à faire jouer son fils dehors dans la neige quand j'irais la voir.
Je fronce les sourcils en la regardant de travers.
— Je te signale que si elle a un enfant, ça ne doit pas être pour le laisser de côté lorsqu'elle a des invités. Et puis je pense qu'elle doit probablement avoir besoin d'être seule pour s'installer.
Erin pouffe à voix basse, avant de se servir une tasse de café.
— Je t'en prie... Personne n'a envie d'être seul.
— Si. Moi, parfois.
Erin tourne les yeux vers moi, avant de les lever au ciel.
— Oui mais ça c'est parce que tu es un artiste. Ce n'est pas pour rien que je m'absente souvent. Pour que tu aies ta solitude d'artiste. Mais elle...
— On ne sait rien d'elle. Si ça se trouve, c'est une artiste autant que moi.
— Avec un enfant ? Il y a peu de chance, raille-t-elle.
Je prends une grande inspiration pour rester calme. C'est un trait de caractère qui m'énerve chez elle. Elle n'a aucune empathie. Et elle n'aime pas les enfants et ne se voit pas fonder une famille dans une avenir plus ou moins proche, alors que j'en rêve. Je rêve un jour de me réveiller au son de mes enfants qui entrent dans ma chambre en riant, avant de sauter sur le lit pour que je me lève. Je tournerai la tête vers ma femme avant de l'embrasser sous les protestations écœurées de nos enfants tandis qu'elle rirait, amusée. Je rêve de sortir dans mon jardin sous les appels de mes enfants, qui me demandent de jouer avec eux à les attraper ou à faire l'avion. Je rêve de courir après un ballon avec eux, et les aider à marquer un but. Mais avec Erin... je sais que cet avenir sera impossible.
Je soupire et lui tourne le dos.
— Tu ne voudrais pas en avoir, toi ?
Je lui ai déjà posé cette question une bonne vingtaine de fois et je connais déjà sa réponse. C'est la sempiternelle conversation que nous avons tous les deux.
— Tu es sérieux ? On en a déjà parlé ! Tu me vois déformer mon corps ? C'est mon gagne-pain ! Si je tombais enceinte, je sais que je ne serais plus jamais mannequin. Et puis tu nous vois être privés de voyage à cause de la scolarité des enfants ? Sans compter les entendre crier à longueur de journée...
— Oui, je réponds sans réfléchir une seule seconde. Oui, je rêve de fonder un jour une famille. Et je ne comprends pas pourquoi ça te révulse autant d'en vouloir.
— Parce que je tiens trop à ma carrière.
— Moi aussi. Mais il y a des choses dans la vie qu'une carrière ne pourra jamais compenser.
— Ah oui ? Je t'écoute, dans ce cas !
— La sécurité d'un foyer. Le réconfort d'une famille aimante. Le soutien. Tout ce que ton boulot ne pourra jamais te garantir. Ton boulot n'hésitera pas à te tourner le dos au moindre changement physique.
— Raison de plus !
— Alors qu'une famille ne le fera jamais, ajouté-je.
Erin fait claquer sa tasse sur le marbre de l'îlot central, répandant du café autour, en me fusillant du regard.
— Assez parlé ! Il est clair que nous avons un avis bien différent sur la question. Mais pour le moment, je crois qu'il est inutile de s'étendre sur le sujet. La question est réglée. Je vais nous commander japonais.
Elle quitte la cuisine d'un pas rageur, faisant claquer ses talons aiguilles sur le carrelage. Je renverse ma tête en arrière en prenant une grande inspiration. Pour ce qui est de la soirée tranquille, on repassera. Adieu la tranquillité.Le soir venu, je m'installe sur ma terrasse avec ma guitare — après avoir déneigé un peu mon siège et allumé un feu pour me réchauffer —, et tente une nouvelle fois de corriger ma partition en plaçant les paroles de ma chanson dessus.
When I look in your eyes... Peace invades me...(1)
Je grimace à cette dernière phrase.
— Non, ça ne va pas... murmuré-je pour moi-même, en rayant cette dernière phrase.
Je coince rageusement mon crayon derrière l'oreille, avant de taper du pied sur le sol nerveusement. Pourquoi ça ne va pas ? Pourquoi je n'arrive plus à écrire des paroles décentes ?
Je pose ma guitare en soupirant, et me laisse aller contre le dossier de mon fauteuil de jardin. Je n'arrête pas de penser à la conversation que j'ai eu avec Erin. Comment peut-elle ne pas vouloir de famille ? Comment puis-je envisager un avenir avec elle, si je dois renoncer à la famille que je rêve de fonder un jour ?
J'aurais pu en fonder une, fut un temps. Mais je n'étais pas celui que je suis aujourd'hui. Maintenant que j'ai changé, je m'en mords les doigts. Cinq ans que j'ai perdu cette chance. Et je sais qu'avec Erin, je n'y parviendrai pas.
Je fronce les sourcils, prends mon crayon et regarde les mots s'étendre sous les notes de ma partition.When I look in her eyes... I only see the future I could not have...(2)
Je repose mon crayon en hochant la tête d'un air pensif. Je sais à présent ce que je vais écrire ensuite et même comment arranger le reste de ma mélodie.
Plus inspiré par ces nouvelles paroles, je me plonge corps et âme dans cette chanson, sans même m'apercevoir que la nuit défile rapidement.
Au petit matin, je constate avec effarement que ma chanson est enfin terminée.
(1) « Quand je regarde dans tes yeux... La paix m'envahit... »
(2)« Quand je regarde dans ses yeux... Je ne vois que l'avenir que je ne pourrais pas avoir... »
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Une voix pour Noël
RomanceCherchant à fuir un événement horrible de son passé, Clarke s'installe en Irlande pour refaire sa vie, seule avec son petit garçon qui ne parle plu suite à un traumatisme. Elle n'avait pas prévu de croiser la route de son beau voisin, Reid. Et sans...