CHAPITRE TREIZE

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LE DÉNI

Mon corps tremble tout entier, tandis que je suis figée. Mes yeux écarquillés sont fixés sur la cause de mon choc.
Du sang.
Partout.
Autour de moi, des cris, des crissements de pneus, et mon cœur qui bat à mes tempes. Mais un seul cri, unique, me sort de ma torpeur.
Mon fils. Qui, tout comme moi, a tout vu.
Nous étions aux premières loges.
Je tourne les yeux et vois des gens brandir leur téléphone, filmant la scène cauchemardesque qui vient de se jouer sous nos yeux.
Je prends mon fils dans mes bras, qui crie.
De peur ?
De douleur ?
Je ne saurais le dire.
— Jackson ?
Je ne reconnais pas ma voix. Un mélange tremblant de plainte et de cris.
Je regarde de tous les côtés, jusqu'à ce que mes yeux se posent sur cette barrette rose surmontée d'une étoile argentée pailletée, au milieu d'une flaque sombre.
Ma Melody.
Je lui avais offert cette barrette le jour de ses six ans, alors que nous nous promenions le long des étalages de bijoux dans un village de bord de mer, lors de notre séjour en France.
— JACKSON ! hurlé-je en serrant mon fils dans mes bras comme pour m'accrocher à lui.
Comme pour m'assurer que je ne rêve pas.
Les regards se tournent vers moi, m'observent, comprennent ce qui se passe. Qui je suis. Certains sont empreints de pitié. D'autre de choc.
— N'avancez pas, me conseille la voix d'un homme.
— C'est votre mari ? S'enquiert une femme à son tour.
— Non... Il faut l'aider ! insisté-je en essayant de me dégager.
— On s'occupe de tout, m'assure une nouvelle fois l'homme. Inutile que vous regardiez ça.
Quelque part, des sirènes se rapprochent.
J'obéis à contrecœur. Je me laisse conduire à une chaise. Je serre Aaron dans mes bras.
Je n'arrive pas à me concentrer. Je me sens déconnectée de la réalité. Comme enfoncée dans une bulle hors du temps.

Ça ne peut pas être réel. J'ai forcément dû m'endormir sur mon canapé devant une série policière, ou bien je fais un cauchemar dans mon lit. Dans quelques minutes Jackson va me réveiller et me prendre dans ses bras pour le rassurer. Il va poser ses lèvres près de mon oreille, et me chuchoter des mots rassurants qui vont me tirer de ce mauvais sommeil.
Je me réveillerai et tournerai dans ses bras pour lui faire face, et nous ferions l'amour. Comme tous les matins au réveil, comme pour nous souhaiter agréablement le bonjour.
Le réveil sonnera ensuite et nous nous lèverons avant de préparer le déjeuner. Je lui raconterai mon cauchemar, à sa demande, et il me prendra une nouvelle fois dans tes bras avant de m'assurer qu'il est auprès de moi. Et ça me suffira pour effacer de ma mémoire ces images terrifiantes.
Dans trois... deux... un...

— Madame ?
Je sursaute et prend une grande inspiration en regardant l'homme en face de moi, au regard compatissant.
Je baisse les yeux sur mes mains et je compte sur mes doigts. Dix. Je ne rêve pas. C'est une technique que m'a apprise Jackson pour savoir si je rêve ou non.
Si nous avons plus de cinq doigts à une main, alors je suis en train de rêver. Or, ce n'est pas le cas.
Ma présence dans cette grande pièce est réelle.
Ces bureaux regroupés et occupés à plusieurs endroits comme s'il s'agissait de plusieurs équipes, sont réels.
Cet homme assit à son bureau, m'observant à présent avec inquiétant, est réel.
— Madame Martins ? Vous êtes avec moi ?
— Quoi ? Oui, pardon.
Je fronce les sourcils et tourne les yeux vers lui. J'imagine que je dois avoir l'air perdue.
— Ce n'est rien. Souhaitez-vous un café ? Ou juste un verre d'eau, peut-être ?
Je serre mes mains tremblantes sur mes cuisses en formant des poings.
— Je veux bien un café, s'il vous plaît, soufflé-je la voix brisée.
Du mouvement à côté de moi attire mon attention, et je vois un autre homme se lever avant de quitter la pièce. Il revient peu de temps après, portant un gobelet chaud provenant probablement d'un distributeur. Je le remercie en prenant le gobelet chaud, et concentre mon regard sur le liquide noir et fumant.
— Je vous disais donc...
— Pardon de vous interrompre, m'excusé-je en grimaçant, mais où est mon fils, Aaron ?
— Aaron ? C'est son prénom ?
Ne comprenant pas sa question, j'acquiesce quand même.
— Il est dans la pièce d'à côté, avec notre collègue. Elle st psychologue et elle est spécialisée dans le domaine des traumatismes infantiles.
Traumatisme infantile ?
Je tourne les yeux vers la pièce qui m'indique l'homme, tandis que celui qui m'a apporté un café entre, pour parler à une femme. Je tourne les yeux vers mon fils qui regarde ses chaussures, le regard éteint.
J'aimerai le prendre dans mes bras et le consoler en le serrant contre moi.
— Bien, reprend l'homme. Ma collègue essaye d'interroger votre fils pour qu'il nous raconte ce qu'il a vu, afin qu'il puisse extérioriser. Mais il n'a répondu à aucune de nos questions. Pas même son prénom.
— Il n'a pas dit un mot ? m'inquiété-je, la voix brisée par les sanglots que j'ai eu plutôt dans la soirée.
Je ressens comme un pincement au cœur. Une profonde culpabilité. Si j'avais accepté de le porter quand il me le demandait, il n'aurait rien vu.
— Ne vous en faites pas. Le mutisme est un cas très courant chez les enfants ayant été témoin ou victime d'acte violent. Ma collègue est en train de l'aider. Maintenant c'est à vous de nous aider en nous racontant ce que vous avez vue, en commençant plusieurs minutes avant les faits.
Je déglutis et hoche la tête péniblement.
Comme j'aimerai que tout ça ne soit qu'un cauchemar...

Une voix pour NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant