12. Fun fair

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Je pensais que les mots faisaient mal mais c'est plutôt le silence qui me tue. Et malgré que certains croient qu'il n'en est rien, c'est quand la bouche se tait, que le cœur parle mieux.

Mon organe palpitant n'étant tout autre que mon cœur me souffle que je souffre, que cet état de silence ne me convient plus. J'ai certainement passé mon enfance à être ignorée. Laissée pour compte car je n'avais pas l'âge.

Je vivais dans ce que beaucoup appelle le secret. A des fins, qui visaient à me protéger.

Des messes basses incessantes qui ne cessaient de circuler, des coups aussi bien physiques que verbaux camouflés par des sourires étouffés.

Tout cela m'a conduit à éprouver de la colère, de la tristesse mais par-dessus tout, de l'incompréhension.

Pourquoi fallait-il que je reste dans l'ignorance ?

Dans le mensonge ?

Est-ce ma faute ? Je me plaisais à me demander.

Freud a dit que "les émotions non exprimées ne meurent jamais. Elles sont enterrées vivantes et libérées plus tard de façon plus laide." Je comprends désormais que la frustration que j'ai ressentie dans mon enfance se réverbère dans ma vie quotidienne. A l'image de vieux démons qui ne veulent jamais vraiment nous quitter.

J'observe le tracé grisâtre qu'effectue machinalement mon pinceau empli d'acrylique aux couleurs de la cendre. J'ai encore dessiné cette ombre. Elle n'a jamais de visage, elle apparaît toujours là où la lumière ne luit pas.

"Tout artiste se voit attribuer une muse." M'avait appris ma professeur d'arts plastiques lorsque je n'étais encore qu'au lycée, elle avait cerné sans même posséder un diplôme en psychologie que mon passé me rongeait.

A chaque gribouillis sur mon cahier, à chaque travail rendu, on pouvait l'apercevoir. Comme si ma propre conscience se refusait à l'oublier.

Il m'arrivait parfois de culpabiliser car j'exprimais la terreur que j'avais autrefois ressentie ou parfois même celle que j'avais perçue dans les yeux de ma mère cette fameuse nuit. Cette même terreur qui faisait que j'en étais là aujourd'hui. Celle qui m'avait ouvert les portes d'une prestigieuse école d'art.

Je l'exprimais dans chacun de mes traits réalisé au fusain, dans chacun des grains qu'absorbait le papier à aquarelle ou bien à chaque touche de couleur que je pouvais apporter à un collage photo.

Tout cela à l'image d'une marque de fabrique ou bien d'une signature.

Un « Made in Liv » dissimulé.

Une façon "quelconque" de me rappeler qu'il n'a jamais cessé d'exister et qu'il fait celle que je suis aujourd'hui.

Je m'empare de mon pot de peinture noire comme si je me rendais à une séance avec le docteur Hawkins.

Je la fais glisser le long de ma toile qui résulte de mon état de somnolence, j'observe la coulée obscurcir l'ensemble avant de prendre le rouleau et d'immaculer l'ensemble pour masquer ce qu'une fois de plus, je n'ai réussi à dissimuler.

L'air ambiant semble enfin m'envahir à nouveau, comme si je l'avais retenu depuis le début.

Comprimé au fin fond de ma cage thoracique où seules mes peines résident.

Je prends conscience de ce qui m'entoure et constate que le soleil s'est couché.

J'ai passé la plus claire partie de mon dimanche à rattraper la nuit pendant laquelle j'ai travaillé au Devil.

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