Chapitre 8

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Jackson était quelqu'un de patient, mais ladite patience avait des limites. Après plusieurs essais, sa voiture restait silencieuse et des plus immobiles. Le problème, mis à part que sa vieille guimbarde était bel et bien en panne ? Eh bien, Jackson avait réellement envie de rentrer chez lui. Retrouver son petit appartement. Ne plus voir personne. Profiter de cette solitude qui, il devait le reconnaître, avait parfois quelques bienfaits.

Puis elle lui épargnait la honte de moments qu'il préférait garder secrets. Le fait de tomber en panne sur l'un des parkings de l'université en était un. Il n'y avait pas grand-monde dans ce coin-là à cette heure-ci, mais... Cela restait passablement embêtant car Jackson avait la fâcheuse tendance de prendre le moindre regard un peu trop à cœur – et il supportait de moins en moins ce genre de choses. La faute à son hypersensibilité qu'il avait longtemps niée, et qui ne cessait de grandir de jour en jour. Elle prenait une place incroyable dans sa tête et il n'arrivait pas réellement à la gérer, alors... Dans un sens, elle lui faisait régulièrement du tort.

Parce que déjà, il s'était figé, une main sur le volant, une autre sur la clé déjà insérée dans son emplacement de base. Et il réfléchissait ainsi, péniblement. Quelles options avait-il ? Le blond écarta tout de suite l'idée d'appeler un garage. Il n'avait pas le cran, et puis... Côté finances, ça n'allait pas fort. Et cette panne, aussi simple soit-elle, lui rappela qu'il devait sérieusement songer à trouver un travail. Autrement, il allait se retrouver dans de beaux draps. Jackson n'avait ni amis, ni hobbies. Il ne manquerait plus qu'il perde son logement à cause de dépenses qu'il pouvait essayer d'éviter.

Toc toc. Le blond sursauta et mit un temps monstre à oser tourner la tête vers sa vitre. Ses prunelles bleues rencontrèrent deux orbes couleur miel. Des orbes qu'il connaissait.

Jackson ne sut s'il devait se sentir soulagé, angoissé ou heureux de revoir Stiles, ce jeune homme si particulier qui avait su perturber sa morne routine. Celui dont il avait voulu des nouvelles, mais qu'il n'avait pas eu le cran de contacter. Alors déjà, et même s'il ne s'était pas réellement donné le temps de réfléchir, il avait abaissé sa vitre. Un sourire moqueur était dessiné sur le visage du châtain.

- Un problème avec ton bolide de compétition, beau gosse ?

La voix connue, tout aussi moqueuse que le sourire, lui parvenait un peu difficilement, comme s'il était loin, très loin. Pas vraiment ici, dans sa voiture. Ni même dans ce parking universitaire. Y voyait-il mal, ou Stiles commençait-il à perdre son sourire ? C'était comme si son expression tombait, au fur et à mesure que le silence de Jackson durait. Parce qu'il ne savait pas quoi dire, sans doute. Que sa bouche entrouverte ne laissait pas échapper le moindre mot. Jackson n'imagina pas un seul instant qu'il puisse être en train de laisser une quelconque forme de panique le paralyser, et pourtant c'était le cas. Il voulait partir... Juste partir. Et il ne le pouvait pas, parce que sa voiture était très probablement en panne. Qu'il n'avait pas les moyens de la réparer. Que, sans elle, il ne pouvait pas rentrer. Se mettre en sécurité, loin du regard des autres, de certains qui commençaient déjà à le dévisager, parce qu'ils avaient entendu ses tentatives de démarrages qui, sans exception, s'étaient toutes soldées par un échec.

Jackson était bel et bien en train de paniquer. Son angoisse n'était juste pas violente, un peu passive agressive. Passive parce qu'il ne faisait pas de crise à proprement parler. Il avait conscience de ce qui l'entourait, du faux cuir du volant contre lequel ses mains étaient en train de suer, mais également de la présence de Stiles, accoudé à sa fenêtre. Agressive parce qu'il sentait son poison s'insinuer en lui. L'angoisse le rendait en quelque sorte incapable d'agir par lui-même. Jackson n'était même pas certain de pouvoir déceler la raison précise de cette panique. Il savait juste qu'elle était là, qu'elle l'empêchait de rétorquer quelque chose de bien placé au châtain. De penser également au fait qu'il était heureux de le voir. Que sa présence espérée récemment était cool. Qu'il devrait lui donner son numéro et pas simplement garder le sien – seul, il ne lui enverrait sans doute jamais le premier message.

Mais Jackson n'était pas capable de tout ça à cet instant précis. Il était fébrile, pâle et c'était à peine s'il osait regarder le châtain. Qui prit les devants après s'être mordu la lèvre inférieure. Puisque la vitre de la voiture était baissée, Stiles se permit de déverrouiller les portes de la voiture depuis sa position. Même s'il se tendait de manière ridicule d'un point de vue extérieur, il réussit à atteindre le bouton adéquat et put par la suite ouvrir la portière. Il posa alors doucement sa main sur l'épaule de Jackson tandis que son regard ambré fut attiré, l'espace d'un instant, par les doigts crispés du blond sur le volant. Ses phalanges devenaient doucement blanches.

- Respire, Jackson, fit l'hyperactif d'une voix au départ grave, lente et profonde. Ne va pas me claquer dans les bras s'il te plaît. Enfin, je sais ce qui t'arrive et je sais que tu ne vas pas claquer à proprement parler, mais... T'es vachement blanc, quand même. Décrispe-toi, voilà. Le volant ne t'a rien fait de mal, tu sais ? Lâche-moi cette pauvre vieillerie, on dirait que tu veux la tuer. Déjà qu'elle n'a pas été extrêmement gâtée par le designer et le constructeur de ce tas de ferraille... Oui, voilà, c'est ça. Doucement. Concentre-toi sur ma voix, sur mes conneries.

Jackson eut l'impression d'ouvrir la bouche. Peut-être parce qu'il se sentait respirer mal, un peu vite, et... Qu'ouvrir la bouche était sans doute un moyen d'attraper une plus grande quantité d'air pour mieux la relâcher la seconde d'après.

- Il n'y a aucun problème, Jackson. Tu vas rentrer chez toi, ne t'en fais pas.

La voix de Stiles était étrange. Il y avait comme quelque chose... D'exagéré, dans son ton. Puis, il parlait lentement, aussi, comme pour être sûr qu'il le comprenne. Pourquoi ne serait-ce pas le cas ? Plus le temps passait, plus Jackson l'entendait bien. Son ouïe semblait redevenir tout doucement normal – tout lui paraissait moins étouffé. C'était lent et laborieux, mais c'était ce qu'il ressentait. Par contre, c'était tout concernant les améliorations. Parce que Jackson n'avait pas remarqué la manière dont Stiles lui caressait doucement l'épaule et dont il lui tenait la main. En un sens, il faisait tout pour le faire revenir à lui, et ça marchait. Le concerné n'en avait juste pas vraiment conscience tant il était ailleurs. La peau de son visage était luisante de sueur, l'humidité d'une panique contenue.

- Ta voiture ne démarre pas, c'est ça ? Entendit le blond. Ce n'est pas grave. On s'en occupera demain. Descends. Je prends tes clés. Viens. Tu peux marcher ? Oula non, ne me fais pas de frayeurs s'il te plaît ! Je peux te calmer, ça oui, mais te rattraper si tu tombes... Non. Je n'ai aucun réflexe, Jackson, donc si tu tombes, je te regarde juste tomber et après, je réagis. C'est comme ça que ça marche.

Mais de quoi parlait-il ? Jackson ne s'en rendait pas compte, mais il était réellement à moitié dans les vapes.

- Appuie-toi sur moi, c'est mieux. Comme ça si tu tombes, je tombe avec toi, et tu encaisses pour moi. T'as suffisamment de gras et de muscles pour ça. Moi, j'ai juste ma peau, et mes yeux pour pleurer après. Je te jure que c'est nul. Puis t'as vu ma gueule ? Misère, si je tombe, je vais être encore plus amoché et vraiment, je marque hyper facilement. Déjà que je suis moche, autant ne pas aggraver les choses, si c'est possible, histoire que je garde un semblant de dignité faciale.

Pour être honnête, Jackson peinait à suivre le monologue de l'autre étudiant tant il était ailleurs. Sincèrement, il ne saurait décrire son état, ni même dire s'il était toujours dans un état de panique passif-agressif ou non. C'était à peine s'il sentait le corps de Stiles, sur lequel il s'appuyait pour tenir debout. Et pourtant, sa voix l'aidait paradoxalement à garder un pied dans la réalité. Peut-être seulement le bout, mais cela semblait être suffisant pour l'empêcher de faire une crise d'angoisse, comme il en avait déjà fait par le passé. Chaque fois, Jackson avait prié pour disparaître, histoire d'effacer la honte qu'il s'était lui-même causé. Car lorsqu'il s'y mettait, cela pouvait devenir... Compliqué à gérer, pour quiconque passerait par là. Jackson se rappelait parfaitement bien de la manière dont sa mère avait si souvent jeté l'éponge par le passé. Il était intenable. Si cette fois-ci, le blond arrivait plus ou moins à contrôler son angoisse par la force des choses, il était clair que le bagout incompréhensible et incompressible de Stiles l'aidait à garder le cap.

Quelques instants plus tard, Jackson se laissait tomber sur un vieux siège qui sentait étonnamment fort le caramel. S'il fronça les sourcils, ce fut léger. Il n'avait ni la force grimacer, ni de demander au châtain quelle connerie celui-ci avait pu faire pour que sa banquette empeste le sucré. Il ne remarqua d'ailleurs pas l'air soudainement tendu et passablement gêné de Stiles qui lui jeta de fréquents regards de biais alors qu'il démarrait sa vieille Jeep.

A vrai dire, Jackson eut tout juste assez de neurones et d'énergie pour communiquer fébrilement à Stiles l'adresse de son appartement.

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