Chapitre 2 : Fâcheuse Rencontre

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          Allez ! Il ne faut pas perdre de temps. Si j'ai pu retenir une chose de tous ceux qui sont passés avant moi, c'est qu'il ne faut pas traîner. Le temps dans l'épreuve est le plus grand danger.

          Je gravis la pente herbeuse, ce qui est loin d'être facile. Le sol est humide, il glisse, et il n'est pas rare qu'un bloc de terre, sur lequel vous posez le pied, chute. Au fur et à mesure que je m'éloigne du camp, les bruits s'amenuisent jusqu'à devenir à peine audibles. Seule une bonne oreille discernerait encore les discussions du village.

          Cette pente, je l'ai gravie des dizaines de fois. Mes jambes puissantes me permettent de parcourir une grande distance en peu temps. Cependant, je me rends vite compte que je ne pourrais pas garder ce rythme bien longtemps. Mes jambes me le font vite comprendre.

          Je ralentis pour ne pas être à court d'énergie d'ici l'aube. Ma sacoche rebondit sur mon dos à chaque enjambée. Comme tous les autres, j'ai pu prendre, en plus du couteau, assez de viande séchée et d'eau pour au moins deux, ou trois jours en les rationnant. Ces provisions sont importantes. Elles m'éviteront de devoir chasser dans les moments difficiles. Il faudra économiser ces réserves au maximum.

          Le jour ne tarde pas à se lever, baignant les sous-bois d'une clarté orangée. Plus que treize levées de soleil. Si je ne fais pas de rencontre fâcheuse, je pourrais atteindre le clan de l'ours à la tombée de la nuit au mieux, sinon demain matin. Cette partie du voyage est, normalement, la plus facile. La traversée des piques montagneux le sera beaucoup moins...

          Mon ventre se met soudainement à gargouiller. Depuis combien de temps n'ai-je pas mangé déjà ? Cela doit faire une dizaine d'heures. Je décide de m'arrêter. Je m'assois contre un arbre, faisant passer mon sac devant. Face à la pente, je mords dans un morceau de viande séchée. Je sais ce que j'ai dit ! Il faut l'économiser... Mais bon, je me dis que quelques bouchées ne peuvent pas réduire à néant mes réserves. Mon ventre est en accord avec mon point de vue.

          Le fait d'avoir gravi une bonne partie de la montagne durant plus de la moitié de la nuit ne m'a pas fatigué outre mesure, mais je suis quand même content de m'arrêter, même pour quelques instants. Ma condition de Khorn me rend plus apte à gravir Art' que les atriens. Ces humains sont plus faibles et plus petits que nous. Je ne comprends même pas pourquoi nous devons les éviter.

          Un craquement de branche me fait me redresser dans un sursaut. Par réflexe, je sors mon couteau, prêt à embrocher celui venant déranger mon petit déjeuner. J'observe la végétation alentour. Tout paraît calme... Trop calme ! Je remarque que le bois est soudainement silencieux. Les oiseaux ont arrêté leur chant. Même les grillons se sont tus.

          Tous mes membres sont tendus. J'attends que la chose qui m'a dérangé se montre... Finalement, ce n'était peut-être rien... ou un lièvre trop curieux. Je me décide tout de même à ranger mes affaires. C'est plus prudent. Ne lâchant pas mon poignard, je passe la lanière de mon sac sur mon épaule.

          Je ramasse, à mes pieds, une branche, assez grande pour en faire une lance, et commence à tailler le bout en pointe. Si c'est un lapin qui a dérangé mon repas, il sera mon prochain. Mais si c'est un ours... Mieux vaut être prêt pour ne pas devenir son casse-croûte. Si le prochain clan sur ma route s'appelle le clan de l'ours, il doit y avoir une raison.

          Le bruit venait de derrière moi, du haut de la pente. Je pars donc sur le côté afin de faire un léger détour. Peut-être pourrais-je surprendre la chose qui m'espionnait ? Et puis, si ce n'était rien, juste la chute d'une pomme de pin par exemple, le fait de faire un crochet ne me ralentira pas outre mesure.

          Lance au poing, couteau à la ceinture, sac sur l'épaule, je gravis la montagne pendant plusieurs heures sans rencontrer âme qui vive. Cela ne me dérange pas, j'aime me retrouver seul. La solitude n'est pas mon ennemie, au contraire, elle m'apaise. Et puis marcher dans les sous-bois à cette période de l'année est plutôt plaisant.

          Tout à coup, j'entends le bruit distinct des feuilles mortes que l'on écrase. Le bruit a voulu être discret mais mon ouïe est fine. A pas de loup, je m'approche de la source. Mon pas à beau être lourd sur les branchages, je sais comment être silencieux quand il le faut. Je ne suis pas loin. A chaque mètre franchi, j'entends les bruits de plus en plus audiblement. Je resserre ma poigne sur mon arme, prêt à m'en servir. Plus que quelques mètres... Un épais buisson bloque ma progression. Caché à moitié dedans, je regarde par-dessus une branche feuillue.

          Mon cœur manque un battement lorsque mes yeux se pose sur l'origine du bruit. Un peu plus loin, à quelques mètres seulement, une atrienne fourre des herbes curatives dans une besace. Qu'est-ce qu'une atrienne vient faire sur notre partie de la forêt? Elle va faire une mauvaise rencontre, et si elle disparaît, ça va être encore la faute des Khorns. Comme si on était responsable des malheurs, arrivant à ces petits individus. Ceci a le don de me mettre en rogne. En plus, parce qu'ils se croient plus développés, ou civilisés, comme ils disent, ils se sont mis dans la tête qu'on devait leur obéir.

          L'atrienne tourne la tête dans ma direction. Est-ce qu'elle m' a entendu ? Impossible. Je n'ai pas bougé d'un pouce. Elle ne peut pas me voir, je suis bien caché grâce au buisson. Heureusement que j'ai retiré la peinture blanche de mon corps deux heures auparavant, laissant l'encre noir de mes tatouages me servir de camouflage. Elle est pâle avec des yeux bridés. Elle vient à tous les coups du sommet des montagnes. Il y a tout un royaume d'atriens lui ressemblant là-bas. Ce sont d'ailleurs les seuls avec lesquels ont entretien des relations politiques amicales. Ses cheveux, aussi bruns que les miens, sont coupés courts au niveau des épaules. Elle est vêtue d'un pantalon de cuir, ainsi qu'un haut duveteux avec une capuche dont le tour est fait en poil d'animaux. J'en suis maintenant sûr, elle vient des pics enneigés. Malgré toutes ces couches, je dois admettre qu'elle possède un certain charme. En tout cas pour une atrienne.

          -Crac- Encore ! Mais cette fois le bruit vient de ma position... Pourtant je n'ai pas bougé. L'atrienne se tourne dans ma direction, une impression de peur sur son visage. Je me retourne doucement, sentant mes battements de cœur s'accélérer, à moi aussi. Je me retrouve face à un immense ours ! Il doit facilement dépasser les deux mètres et demi. Il m'aperçoit, caché à quelques mètres de lui, et me grogne dessus, frappant lourdement le sol de sa patte griffue.

          Je recule, manquant de tomber en me prenant les pieds dans une racine. Je me place de telle sorte d'être devant l'atrienne, pour la protéger. Je me retourne légèrement pour voir où elle est précisément. Elle a disparu ! Elle a dû profiter de ma distraction pour se faire la malle. Tant mieux je n'aurais personne à défendre dans ce cas. L'ours s'avance. Il écrase le buisson dans lequel j'étais caché quelques secondes auparavant. Toujours en grondant, il guette chacun de mes mouvements. Mon sang se glace ! Je me demande si je pourrais le vaincre. Après tout, je fais presque sa taille du haut de mes deux mètres. Malheureusement, je le trouve beaucoup plus effrayant que moi.

          Je le charge tout en lui criant dessus, cherchant à le faire fuir. Il n'est nullement effrayé. Il se met debout, me surplombant de toute sa hauteur, grognant de plus belle. À une vitesse surprenante pour sa taille, il tente de me faucher avec ses grosses griffes. Je pare son coup par réflexe avec ma lance. Elle se brise en deux sous l'attaque. Les griffes passent à quelques centimètres de mon torse.

          Je recule, prenant mon poignard en main. Je ne pourrai pas le vaincre. Il est plus fort que moi. Mon dos se cogne à un tronc d'arbre. Je suis acculé. Je ne peux plus fuir. Je dois l'affronter sinon l'épreuve se termine aujourd'hui pour moi. Peut-être que si je lui saute dessus, il sera suffisamment surpris pour que je puisse lui planter ma lame dans sa gorge...

          Au moment où je me décide à agir, une flèche passe à ma gauche, dans un bruissement d'air, et vient se planter dans l'épaule de l'animal. Il se remet à quatre pattes, et gronde, un peu moins convaincu. Une autre flèche me frôle, mais cette fois, loupe sa cible... Malgré tout, c'en est assez pour l'ours qui prend la fuite, sans demander son reste.

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