Chapitre 6 : Art'

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         Nous montons encore, et toujours, vers les sommets. Mon guide et moi sommes partis très tôt dans la matinée du troisième jour de mon épreuve. Il m'a montré les chemins sûrs pour arriver aux pics enneigés. Ma cape de fourrure a finalement son utilité. C'est qu'il fait plus froid que prévu dans ces contrées. Le vent froid est mordant, et l'humidité des lieux ne rend pas la chose plus facile. En plus de mon glaive, Korush m'a permis de prendre une autre lance de bois pour avoir sauvé la vie de Boruh. Ce dernier était toujours dans les vapes lorsque je suis parti mais le druide m'a affirmé qu'il s'en sortirait.

          Lorsque le soleil est au plus haut dans le ciel, nous nous arrêtons sur des pierres le long du chemin pentu pour manger quelque chose. Il n'y a presque plus d'arbre, ou même de plante, là où nous nous trouvons. Seulement des pierres. La neige n'est pas loin. Je peux l'apercevoir à une centaine de pas d'ici. Je mords dans la viande séchée. Nous mangeons en silence. A vrai dire, nous avons marché sans prononcer plus de trois mots chacun. Je ne sais même pas comment il s'appelle... Je n'ose pas parler. Le vent est tellement froid. Si je parle, j'ai peur qu'il assèche ma gorge. Une rafale nous percute de face. Mes yeux retiennent des larmes qui ne demandent qu'à tomber. Je resserre les pans de ma cape. Mon compagnon de route se relève, et range ses affaires.

- Il est l'heure pour moi de te quitter et te souhaiter une bonne route, déclare-t-il, Je vais retourner au village. Tu n'as qu'à suivre ce chemin. Dès que tu ne le verras plus, dirige-toi vers les sommets les plus au nord.

- Comment saurais-je vers quels pics me diriger ?

- Ce sont les plus hauts. Tu verras sûrement de grands aigles voler autour. Sinon regarde les sommets. Leurs villages ne sont pas discrets, on les voit à des lieux de distance. Si jamais tu es perdu, il y a de nombreux temples atriens dans ces montagnes, tu peux t'arrêter à l'un d'eux pour demander ton chemin. Ils sont assez compréhensifs avec les égarés.

- D'accord bah merci pour tout, le remercié-je, Je te souhaite bon retour.

- Aurevoir. Ne traine pas trop dans ces montagnes, et regarde où tu marches, une chute est si vite arrivée.

          Je le regarde s'éloigner. Puis, je range la viande bien consciencieusement dans mon sac que je jette sur mon épaule. Je reprends ensuite ma route. La neige recouvre bientôt tout le paysage devant moi. Mes lourdes bottes s'enfoncent profondément dans cette étendue immaculée. Je marque de mon empreinte le chemin vierge, comme si personne ne l'avait parcouru avant moi. Le vent ne me ménage pas. Il est dure de marcher dans ces conditions. Chaque pas me coûte énormément. Et ce n'est pas parce que je suis un Khorn que les intempéries ne me font pas effet. Je suis plus endurant, plus résistant au température glacière, et grâce à mes longues jambes je peux parcourir plus de distance à chaque pas qu'un atrien. Je demande comment ils font pour vivre dans ces terres inhospitalières.

          Je marche. Lentement. Mes pieds s'enfoncent dans la neige. Une tempête se lève. Déjà que je ne voyais pas grand-chose avant. Maintenant, je ne vois plus rien du tout. Je n'arrive même plus à me diriger. Je marche, aléatoirement. Suivant mes pieds me portant où bon leurs semblent, chancelant. Je finis par décider de m'arrêter quelque part, pour attendre le calme après la tempête. J'arrive, grâce aux dieux, à trouver une crevasse dans la montagne. Je m'y faufile. L'entrée est étroite, à peine assez grande pour que je puisse m'y glisser. Une fois à l'intérieur, je remarque que la grotte est plus grande que je ne le pensais. Suffisamment haute pour que je m'y tienne debout. Je peux aisément m'allonger de tout mon long sans en occuper toute la place.

          J'y passe un long moment. Calfeutré, dans trois mètres sur deux, je regarde la tempête faire rage par la crevasse. Cet abri de fortune me sauve certainement la vie mais j'y perds du temps, trop de temps. Des minutes, puis des heures passent sans qu'elle ne faiblisse. Le vent s'infiltrant légèrement dans l'ouverture émet un léger sifflement. Je farfouille entre les stalactites et les stalagmites mais j'ai vite fait le tour, et je ne trouve rien d'intéressant. Au moment où je n'espère plus la voir s'arrêter, la tourmente s'amenuise jusqu'à ce que plus aucun flocon ne tombe. Je sors donc, afin de me dégourdir les jambes et de satisfaire ma vessie. Le paysage est méconnaissable par rapport à quand je me suis abrité. La neige a tout recouvert, là où on voyait encore la roche, il n'y a qu'une épaisse pellicule blanche. Le soleil est descendu dans le ciel. Il ne tardera pas à faire nuit. Peut-être dans une heure ou deux... Un dilemme s'impose à moi : dois-je attendre la nuit bien à l'abri et repartir demain, ou, partir dès maintenant et risquer de me retrouver coincé par une tempête sans protection durant la nuit ? La tempête vient à peine d'avoir lieu. Il y a peu de chance qu'une seconde se déclenche aussi tôt.

          Je décide alors d'avancer malgré tout. Je récupère mes affaires laissées dans la crevasse, et continue de marcher dans la neige en direction du nord-ouest. Mon ascension est encore plus pénible et fatiguant qu'avant. Je reste à une bonne altitude. Un énorme ravin bloque mon flanc droit depuis déjà un moment. Je fais attention à où je pose le pied pour ne pas y glisser. Le soleil finit par se cacher derrière l'un des pics, plongeant la région dans une quasi obscurité. La noirceur de la nuit ne va pas tarder à recouvrir totalement les lieux. Il faut que je trouve un refuge pour la nuit. Malheureusement, depuis la dernière, je n'ai vu aucune trace d'une quelconque grotte.

          D'épais nuages viennent couvrir la lumière de la lune. Il ne faut pas longtemps pour que je ne puisse plus me diriger. A quoi bon avancer. J'essaye de trouver un abri, mais dans le noir, il m'est impossible de voir a plus de deux mètres devant moi. Le vent se met à souffler plus violemment. A tous les coups, une autre tempête se prépare. Soudain, une petite lueur apparaît au loin. Sur le flanc de la montagne d'en face, presque au sommet, ce lumignon me guide malgré moi. Je m'y rattache car c'est le seul point de repère que j'ai. Je m'aide de la lance pour marcher. De la neige commence à tomber. Il faut vraiment que je m'arrête. Surtout que je suis las d'avoir parcouru une telle distance aujourd'hui, et que je n'atteindrai pas ma destination si je ne me repose pas.

          Un bruit derrière moi attire mon attention. Je me retourne, et pointe ma lance vers la source. J'ai l'impression que des prédateurs m'ont pris pour leur prochain repas. J'entends la neige se retourner à plusieurs endroits autour de moi. Je recule m'attendant à voir apparaitre un loup à tout instant. L'adrénaline réchauffe mon corps et me fait oublier la douleur de mes jambes. Un hurlement de loup déchire le silence de la nuit. Je recule encore d'un pas par sursaut. Je sens mon pied glisser mais il est trop tard. Je dégringole la pente emportant une coulée de neige avec moi. Dans ma chute, je lâche ma lance. Mon dos vient percuter une grosse pierre, m'empêchant de tomber tout en bas. Je suis tout étourdi. J'ai dû me briser des côtes... Mais je ne suis pas au bout de mes peines, le sol sous moi cède dans un craquement. Je tombe dans une crevasse deux, trois mètres en dessous. Ma tête tape durement sur le lit de neige et de glace amortissant ma chute. La douleur est insupportable... Je sombre... 



*

          De la neige tombe sur mon visage me tirant de ma torpeur. La lumière du jour m'éclaire. Tout mon corps me fait souffrir. Je ne peux pas me redresser. Même ouvrir les yeux est un calvaire. Ça recommence, des flocons chutent dans la crevasse. Il doit avoir quelqu'un en haut, ou quelque chose... Ma main se pose sur le fourreau de mon poignard mais ce dernier n'y est pas. J'ai dû le perdre lors de ma chute. Je redresse péniblement ma tête, la décollant de mon oreiller de glaces. Oui, je le vois. Il est planté dans la neige à deux pas de moi. Malheureusement, il est hors de portée dans mon état. Ça recommence. Il y a quelque chose en haut. J'essaye d'appeler à l'aide mais ma gorge n'émet qu'un gargouillis. Ma tête se remet à tourner...



*

          Je reprends connaissance... encore au fond de la crevasse. Il ne fait plus jour. J'arrive à voir d'où je suis une infime partie d'un ciel étoilé. J'ai soif. Ma lèvre est toute craquelée. Je sens aussi mon ventre se tordre. Combien de temps suis-je resté inconscient ? Un jour ? Plus ? Je sens une présence derrière moi ! J'essaye de pencher la tête sur le côté mais je ne peux pas... Je suis trop faible. La chose se déplace, venant se positionner en face de moi de telle sorte que je puisse le voir. Ou plutôt la voir. L'individue porte une longue cape de fourrure grise cachant sa tête d'une cape. Elle porte dessous une armure de cuir moulant ses formes féminines. Pourquoi ne me vient-elle pas en aide ? Elle reste calme, impassible. Comme si elle n'en avait rien à faire que je meurs ou non. Elle retire sa capuche. Je tousse, ravivant ma douleur et crachant un flot de sang. C'est l'atrienne de la forêt ! Celle que j'ai vu juste avant de me faire surprendre par un ours. Celle qui cueillait des herbes curatives. Ses yeux bridés me fixent. J'ai envie de lui dire : " Qui êtes-vous ? Aidez-moi !" mais seul un bruit incompréhensible sort de ma bouche. Sa voix cristalline s'adresse à moi avec une sévérité qui m'étonne.

- Qui es-tu ? Pourquoi tu me suis ?

          Je veux lui répondre mais je me contente d'ouvrir et de fermer la bouche sans rien émettre.

- Je ne sais pas qui tu es, continue-t-elle, mais si tu fais partie d'eux. Si tu continues à m'espionner, je te tue.

         Qui sont ceux dont elle parle ? Je n'ai pas le temps d'y réfléchir que ces doigts viennent effleurer ma peau. Une douleur atroce m'envahit...

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