Chapitre 3

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Combien de temps s'était écoulé ainsi ? Une heure ? Un jour ? Soona n'était plus sûre de rien. Elle avait perdu toute notion du temps et de l'espace depuis que le soldat l'avait assommé. Ewen et les gardes avaient disparu, même si elle ne pouvait rien affirmer compte tenu du voile noir qui lui obstruait la vue. La jeune fille peinait à analyser sa situation avec clairvoyance, et ne parvenait pas à réfléchir concrètement. Sa tête la faisait toujours souffrir le martyr, ses tempes faisaient résonner comme des tambours le bruit de son rythme cardiaque agité. Était-elle seulement capable de parler ? Elle en doutait fort. Sa bouche était déshydratée et ses lèvres craquelées et desséchées, sa gorge endolorie ne parvenait pas à formuler le moindre son.

Elle tenta de se relever, en vain. Et pour cause : ses membres étaient solidement ficelés, l'empêchant de se mouvoir. La tête dans la poussière et étalée à-même le sol, elle ne pouvait que gigoter comme un asticot, sans parvenir à se défaire de ses liens. On l'avait sûrement oubliée quelque part, laissée à son compte dans un endroit exiguë poussiéreux et froid après l'avoir kidnappée. Kidnappée. Ce mot résonna dans la tête de la jeune fille comme un gong funèbre. Sa simple évocation lui provoqua un frisson d'angoisse. Soona était d'un naturel plutôt calme et posé en toute situation, cependant cette fois-ci elle était bien obligée d'admettre qu'elle était totalement dépassée par les évènements.

Un léger bruit vint perturber le silence – la jeune fille aurait parié qu'il s'agissait du déclic d'un verrou – et le sol se mit à trembler sous les pas de plusieurs individus. Soona percevait leurs bruits de bottes et leurs voix étouffées derrière la cloison. Au moins ne l'avait-on pas oublié dans une vieille cave ou un placard.

Quelqu'un poussa le battant de la porte, et le voile noir qui couvrait les yeux de la jeune fille laissa filtrer une lumière chaude qui picota ses rétines. Ils étaient probablement une dizaine à pénétrer dans la pièce, et même si Soona ne pouvait pas voir leurs visages elle reconnut la voix maintenant familière de l'émissaire.

— Au moins les avons-nous devancé sur ce point, affirma-t-il, il leur sera difficile de mener à bien leur projet sans ces documents.

— Et la paysanne ? lança une seconde voix d'un ton peu approbateur.

— Mieux vaut se débarrasser d'elle, argua un autre. Ca résoudrait bien des problèmes pour la suite.

Une botte lui assena un léger coup, comme l'aurait fait un pêcheur pour vérifier si le poisson n'est pas encore mort.

— N'allez pas trop vite en besogne messieurs, rigola Ewen. Vous semblez oublier notre situation. Pourquoi nous contenter de dérober quelques documents au Seigneurs quand on peut aller jusqu'à leur voler leurs idées ? Une fois que tout sera fini, ce sera une carte importante dans notre main.

— Cette fois-ci c'est toi qui va un peu vite en besogne Ewen, lança une voix grave par-dessus les murmures des gens.

Le nouvel arrivant fit immédiatement taire toute la salle. Les murmures cessèrent et les souffles se retinrent. Seul Ewen osa prendre la parole.

— Mon prince, le salua-t-il. Nous vous attendions.

— Mmh. C'est quoi, ça ? lança l'homme sèchement, informant immédiatement Soona qu'il parlait d'elle. Tu devais juste prendre les documents et te charger d'eux, pas emporter de paquet souvenir.

Ewen – habituellement d'un franc-parler déconcertant – ne trouva rien à rétorquer. Quant-à Soona, la seule pensée qui la traversa, stupide et évidente, fut qu'elle avait toujours une botte coincée dans le tibia.

— On ne peut pas ramener cette gamine avec nous à Orion. Débarrasse-t'en rapidement, on met les voiles d'ici peu.

Son accent de l'Est rendait les mots tranchants comme des couteaux et écorchait les oreilles de la jeune fille ; rien à voir avec la voix angélique et l'accent poétique d'Ewen. Soona entendit le claquement autoritaire de ses pas s'éloigner, bientôt suivit des autres personnes. Alors qu'elle pensait de nouveau être seule, elle perçut quelqu'un soupirer lourdement.

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