Chapitre 4

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Durant la semaine qui suivit son départ d'Hesra, Soona eu l'occasion d'en apprendre plus sur l'aventure dans laquelle elle s'était embarquée. Le prince Arran n'était évidemment pas enclin à la conversation et n'avait plus adressé un seul mot à la jeune fille depuis son arrivée dans l'équipage de l'aéronef, mais cela lui convenait très bien comme ça. A l'inverse Ewen s'était montré extrêmement curieux vis-à-vis de l'elfe verte et lui témoignait un intérêt réel. Elle était sans cesse assaillie de nouvelle questions sur sa vie à Hesra, sur son frère, sur son Jardin Botanique, et sur tout ce qui se rapprochait de près ou de loin de ses ancêtres. Mais pour autant, personne n'avait plus prononcé le nom de Pomme, ni mentionné les documents dont elle était l'auteure. Lorsqu'elle avait tenté d'en reparler à Ewen, le jeune homme lui avait souri mystérieusement et s'était éloigné en silence. Soona n'avait pas osé insister.

C'est ainsi que se déroula le gros du voyage, alternant entre repas fastueux en compagnie des membres de l'équipage et sommeils agités. La jeune fille accompagnait de temps en temps l'émissaire dans la cabine de pilotage, et l'observait diriger le navire au milieu d'une mer grise et tumultueuse. La tempête de vent et de pluie ne prenait jamais fin, et aucun rayon de lumière n'avait encore transpercé la masse sombre de nuages qui les entourait.

— C'est parce que nous volons haut, lui avait déclaré Ewen lorsque Soona avait fait la remarque un jour. De la sorte, on est sûrs d'arriver à bon port sans que tout le royaume en ait eu vent.

Puis, il s'était lancé sur un monologue à propos des spécificités de certains nuages du Nord, et Soona avait cessé de l'écouter. Le jeune pilote lui posait beaucoup de questions sur elle, mais parlait rarement de lui. Certaines fois il lui était arrivé de parler de sa ville natale tout en tournant son imposant gouvernail. Ses yeux s'emplissaient alors d'une mélancolie profonde et se mettaient à divaguer. Il lui avait raconté son enfance à Esmeralda – ou tout du moins ses premiers vols au-dessus de la baie gelée en compagnie de son père – et il lui avait parlé de son recoin secret dans les bois où il allait lire en cachette. Et il avait ri, songeant à quelque chose connu de lui seul.

Le soir, quand les cuisinières éteignaient les lumière du dortoir, les hurlements du vent se faisaient encore plus fort et menaçants, comme si les nuages tentaient de les dévorer dans leurs sommeils. Rongée par l'angoisse et la peur, Soona restait allongée silencieusement, écoutant la tempête hurler au dehors et heurter le dirigeable de plein fouet. Lorsqu'elle parvenait à trouver le sommeil, ses songes la réveillaient rapidement, et elle se redressait sur son lit en sueur en terrifiée. Woor n'était plus là pour l'aider, et l'elfe verte devait affronter seule ces visages pâles encadrés de long cheveux de marbre qui hantaient ses cauchemars tels des fantômes du fond des âges venus la tourmenter. Soona était stressée et épuisée, et ses profondes cernes effrayaient les cuisinières qui avaient déjà eues beaucoup de mal à accepter sa présence dans leur chambre. La jeune fille aurait donné n'importe quoi pour quitter ce dirigeable tanguant et poser ses pieds dans l'herbe fine au bord du lac d'Hesra en respirant l'air frais de sa montagne. Ewen la charriait sur son aspect négligé et son pas traînant, ce qu'il liait à « cette vie de paysanne qui ne t'a pas préparé aux longs vols » en riant. Au souper, il se montrait encore plus bavard que dans la journée et ne cessait de la mettre dans l'embarras.

C'est par un jour aussi orageux que les précédents que l'aéronef accosta à Orion. Sous un déluge de grêle de neige et d'éclairs, Ewen entama la descente du grand dirigeable. Depuis les hublots, Soona distinguait de plus en plus clairement les pics aiguisé des montagnes de l'est et les pentes abruptes couvertes de neige et de pins. Dans la tempête, les montagnes semblaient encore plus terrifiantes et menaçantes que tout ce que la jeune fille avait pu imaginer jusque-là. Sous une neige poisseuse comme des larmes, le dirigeable s'arrima à une étroite plateforme qui avait été construite sur un pan de montagne moins abrupte que les autres. Un choc puissant fit tressaillir les passagers et trembler le dirigeable lorsqu'il heurta finalement la terre ferme. La neige se souleva en tourbillons déchainés autour d'eux.

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