8. Noyade

127 12 2
                                    

Je ferme les yeux, et je me sens tomber comme si je m'évanouissais.

Le vent siffle et la pression me bouche les oreilles. Comme si le monde s'était tu pour mieux m'abattre, j'ai l'impression d'être une pierre ; je ne peux bouger ni sentir, et ma chute est inéluctable. C'était définitivement une mauvaise idée.

En un sens, je devrais remercier Alhaitham. Je ne pense pas que j'aurais eu le courage de sauter seule. Je ne l'aurais pas fait si je savais que c'était si horrible. Et chaque seconde où je ne heurte pas les eaux en contrebas ne fait qu'augmenter mon appréhension pour l'impact.

J'entends les murmures de l'eau, et je sais que j'y suis, et j'entrouvre les yeux pour ma dernière vision. Et j'ai vu l'eau, sombre, grondante, dont les tumultueux écueils me tueraient, mais aussi, j'ai vu, une liane émeraude, imaginaire, se déployer devant moi.

Mon corps entier se tend vers ma seule chance de survie. A peine je l'effleure, comme animée d'une volonté propre, la liane s'enroule autour de mon poignet, spiralant sur ma taille et jusqu'à mes jambes, avant de s'y serrer fermement. 

Tout mon poids s'abat sur ce baudrier végétal en un instant, et malgré l'élasticité des lianes, l'impact foudroie ma jambe droite et j'en perds la mobilité.

Je sens chaque fibre du support se tendre et plier de manière alarmante, certaines cèdent, d'autres lâchent après elles, et quand enfin j'espère que le mouvement s'inverse, que les lianes se détendent en un rebond salvateur, je lève les yeux et vois son origine ; Alhaitham, le bras tendu, faisant surgir plus de lianes pour me récupérer grâce à ses pouvoirs élémentaires.

Je soupire de soulagement : un peu trop tôt hélas, car les plantes cèdent, me plongeant dans les eaux noires du lac. 

Heureusement, les lianes avaient déjà ralenti ma chute, alors je ne subis pas plus de dommages à l'impact. L'eau glacée, quant à elle, se fait bien sentir. Si à l'habitude, nager dans ce lac aurait été un loisir, ma jambe meurtrie ne me permet pas de me mouvoir correctement, et je coule à moitié. Je m'agite pour tenter de rejoindre un des rochers sur lesquels je pourrais m'appuyer, mais c'est inutile ; ma jambe est un poids mort et la douleur si lancinante qu'elle m'empêche de me concentrer sur la nage.

Je serre les dents : respire, utilise tes bras, débats-toi... Je peine à maintenir la tête hors de l'eau, je ne peux vraiment rien faire ? Est-ce que je vais mourir, comme ça ?

Je lève les yeux ; il n'y a rien pour me sauver autour de moi, et même si c'était le cas, je n'aurais pas la force de m'y agripper... et l'eau dans mes yeux m'empêche de voir correctement. Je distingue bien la silhouette d'Alhaitham, debout et immobile, fidèle à lui-même.

On disait souvent de lui qu'il était si antipathique que si on se noyait à côté de lui, il nous regarderait couler en priant pour notre âme. Je suppose que c'est vrai, maintenant.

Je prends une dernière bouffée d'air ; et je sais que ça sera la dernière ; je n'ai plus de force. 

Je sombre.

Eh bien... peut-être bien que je suis folle après tout. Quelle idée de se tuer pour se réveiller aussi... Au fond, il n'y a rien d'anormal dans ce tableau ; les épaves comme moi se noient, et les génies comme Alhaitham nous regardent faire.

Je ne sais vraiment pas à quoi je m'attendais. A vrai dire, j'aimerais mieux me réveiller dans cette même situation, que de revivre ce cauchemar qu'étaient mes études. Enfin, quand il y avait Dahlia, ce n'était pas si mal. Mais avec elle, j'ai perdu toutes mes autres amies, qui ont révélé leur vrai visage après sa mort ; elles ne restaient avec elle que pour les études. 

Ce n'était pas comme si elle la méprisaient en dehors de l'Académie, mais simplement, comme si elle n'était qu'un objet oubliable. Si je les revoyais aujourd'hui, elles ne se souviendront même plus de son nom.

Dahlia aussi était un génie. Le seul qui m'a tendu la main quand je me noyais.

Après elle, personne d'autre ne m'a aidé. 

Je vois dans la lumière s'éloigner et l'eau noire gagner mon champ de vision. Mes bras ne répondent plus. L'air s'échappe de mes poumons. Je vais mourir. 

Pourtant, de ces années-là,  j'ai fini par me sortir. Comment ?

J'ai pensé, moi aussi à tomber dans l'eau profonde. Mais pas longtemps.

Avec une force que je n'ai plus, je serre le poing. Je me souviens, d'une des choses qui me manquaient.

La hargne que je retrouve maintenant est celle qui m'a fait avancer. Le monde continuait à avancer sans elle ni moi, alors j'ai voulu courir plus vite que lui.

Mais mon corps, lui, se souvient du pouvoir que j'ai oublié. Un courant se forme dans l'eau et me pousse violemment vers la surface.

Oui ; je n'ai jamais pu compter que sur moi et ma hargne ; alors sot rêve que ce soit, je refuse d'être sauvée par quiconque.

Poussée contre la berge, j'émerge et prends une grande goulée d'air, tandis que mes mains cherchent prise sur la roche trempée.

J'empoigne quelque chose, que je sens se raidir au contact.

J'ai des vertiges. Je lève la tête encore une fois, pour réaliser que je serre fermement la cheville d'Alhaitham. 

Je ne vois que son regard interloqué avant de m'évanouir sur la berge.

𝐸𝓃𝓉𝓇𝑒 𝓇ê𝓋𝑒 𝑒𝓉 𝓇é𝒶𝓁𝒾𝓉é [[Fanfic Alhaitham x Reader]]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant